L’Allemagne plonge dans une crise énergétique
majeure


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La rédaction 12 juillet 2022 6 min (durée de lecture


Les Allemands se préparent tant bien que mal au scénario du pire, l’arrêt de toute
livraison de gaz russe. C’est déjà le cas depuis le lundi 11 juillet, puisque le gazoduc
russe Nord Stream 2 qui approvisionne l’Allemagne et l’Europe de l’ouest via la mer
Baltique a été mis à l’arrêt. «Nord Stream est arrêté (…) cela signifie que le gaz ne
circule plus», a confirmé Robert Habeck, le ministère allemand de l’Economie.
Officiellement, durant une dizaine de jours pour des opérations classiques de
maintenance. Mais les autorités allemandes craignent qu’il ne redémarre pas et que ce
soit ainsi une mesure de rétorsion de Moscou après les séries de sanctions prises par les
Occidentaux contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février. Cette possibilité
de coupure est d’autant plus grande que les livraisons ont déjà été réduites de 60%
depuis la mi-juin, officiellement pour des raisons techniques, ce qui complique encore le
remplissage des sites de stockage avant l’hiver. En cas d’arrêt pur et simple de Nord
Stream 1, l’Allemagne, l’Italie voire la France seront dans l’impossibilité de remplir leurs
installations de stockage de gaz à hauteur des 90% visés pour affronter l’automne et
l’hiver dans des conditions moins difficiles à gérer.
«Poutine va nous fermer le robinet de gaz… mais le rouvrira-t-il un jour?», s’inquiétait
dimanche le quotidien Bild, le plus lu d’Allemagne. Comme une confirmation Gazprom a
réduit lundi 11 juillet ses livraisons à l’Italie et l’Autriche, respectivement d’un tiers et de
70%, ont indiqué les énergéticiens OMV et ENI. Les deux pays sont en partie
approvisionnés par le gazoduc Nord Stream 1 mais aussi par le gazoduc TAG qui passe
par l’Ukraine.
Au cours des derniers jours, Berlin a tout fait pour convaincre le Canada de restituer une
turbine destinée à Nord Stream 1, qui était en maintenance dans le pays, mais bloquée
par l’embargo des occidentaux. L’Ukraine a protesté mais les intérêts européens2/3
poussent dans l’autre sens. L’Allemagne ne voulait pas donner un argument
supplémentaire à Moscou d’interrompre ses livraisons de gaz. Pas sûr que cela change
quoi que ce soit.
Pénurie de gaz et triplement de la facture d’énergie
«Nous courons à la pénurie de gaz», a prévenu Robert Habeck, en demandant à ses
concitoyens de faire des économies et de prendre des douches plus courtes et plus
froides. «Si nous ne recevons plus de gaz russe, les quantités actuellement stockées ne
suffiront que pour un ou deux mois», explique Klaus Müller, le président de l’Agence
fédérale des réseaux. Il évoque pour les consommateurs le spectre d’un «triplement» de
leur facture d’énergie. Pour Axel Gedaschko, chef de la fédération des entreprises
allemandes du logement: «la situation est plus que dramatique». Il estime que «la paix
sociale de l’Allemagne est en grand danger».
En France, le ministre de l’économie Bruno Lemaire fait exactement les mêmes
prévisions. «Préparons-nous pour une coupure du gaz russe. C’est aujourd’hui l’option la
plus probable», a-t-il souligné dimanche 10 juillet, aux Rencontres économiques d’Aix-en-
Provence. «Il faut nous mettre en ordre de bataille maintenant sur l’organisation, le
délestage, la sobriété, la réduction de consommation… c’est maintenant que nous
devons prendre les décision», a-t-il ajouté. Des propos relayés par la ministre de la
Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, qui dans un entretien au Figaro explique
qu’«’Il faut se mettre dans le scenario du pire, car il existe. À tout moment, la Russie peut
interrompre totalement ses livraisons de gaz».
Le Parlement allemand a adopté le 7 juillet un premier plan qui prévoit un recours accru
aux centrales à charbon et des mesures d’économies. Ainsi, la centrale au lignite de
Bexbach, classée comme l’une des plus polluantes d’Europe, qui avait été «mise en
réserve» en 2017, va reprendre du service. La nouvelle loi prévoit également que le
chauffage dans les bureaux ne pourra pas excéder les 20 °C cet hiver.
Un impact sur l’activité industrielle
Plus de la moitié des foyers allemands étant chauffés au gaz, les bailleurs commencent à
prendre les devants. Le premier groupe immobilier, Vonovia, a annoncé qu’il allait limiter
à 17 °C la nuit la température du chauffage central dans ses 350.000 logements. Près de
Dresde, une coopérative immobilière a décidé de couper l’eau chaude la nuit dans ses
600 logements. Beaucoup d’efforts ont déjà entrepris pour diversifier les
approvisionnements. Avant l’invasion de l’Ukraine, l’Allemagne dépendait à 55% du gaz
russe pour ses importations, contre 35% début juin. Mais cela devient presque impossible
maintenant de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement.
L’inquiétude grandit dans les milieux patronaux allemands pour l’hiver prochain. «Il est
possible que nous introduisions à nouveau plus de télétravail pour une durée limitée,
comme lors de la pandémie. Mais cette fois-ci pour économiser de l’énergie», a expliqué
dans la presse Carsten Knobel, le patron du groupe Henkel. Depuis plusieurs semaines,3/3
les poids lourds de l’industrie alertent sur les conséquences d’une pénurie de gaz. BASF,
dont les turbines fonctionnent avec du gaz russe, évoque une possible mise en chômage
partiel d’une partie des salariés.
Eviter la faillite d’Uniper, premier opérateur gazier en Allemagne
Le gouvernement allemand à une autre priorité encore plus urgente. Sauver Uniper, le
premier opérateur gazier en Allemagne. Il a appelé l’État au secours la semaine dernière.
Faute de gaz russe, il est contraint de s’approvisionner à prix d’or sur les marchés sans
pouvoir répercuter cela dans ses tarifs. Ses pertes avoisinent «plusieurs dizaines de
millions d’euros par jour», et la «situation n’est plus tenable longtemps», affirme son Pdg,
Klaus-Dieter Maubach. Les pertes de l’entreprise pourraient atteindre «jusqu’à dix
milliards d’euros» cette année. Klaus-Dieter Maubach annonce «qu’il ne peut pas tolérer
la situation actuelle longtemps et qu’il pourrait être obligé de commencer à puiser du gaz
dans ses installations de stockage dès la semaine prochaine, ce qui réduirait encore les
réserves nécessaires pour l’hiver prochain.» Pour commencer, il demande une aide de 9
milliards d’euros pour éviter la faillite.
Selon la presse allemande, l’État fédéral pourrait entrer au capital d’Uniper, mais le
gouvernement demande d’abord que son principal actionnaire, le finlandais Fortum qui
contrôle 80% d’Unipare, apporte des capitaux. Celui-ci s’y refuse, expliquant avoir déjà
octroyé 8 milliards d’euros de prêts et de garanties.
Maintenant, il est aussi possible que Moscou continue à fournir au compte-gouttes du gaz
pour maintenir la pression sur les pays européens et notamment l’Allemagne. Il y aussi
des raisons techniques à cela, il sera difficile à Gazprom de stopper net longtemps toutes
ses livraisons via Nord Stream. On ne peut pas fermer comme cela les puits sibériens où
le gaz est exploité et les capacités de stockage ne sont pas extensibles.