SOLAIRE

De quelques bonnes raisons de s’opposer
d’urgence au photovoltaïque industriel

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Depuis l’antiquité, le soleil, Hélios, (comme son compère le vent, Eole, que nous n’évoquerons ici qu’incidemment, par intermittence !), font figure de divinités.

Ephèbe magnifique, guidant son char doré à travers le ciel, dont la figure se confond avec celle d’Apollon, distribuant ses bienfaits de lumière et de chaleur à la terre entière, le soleil est même pour l’empereur Julien, dernier restaurateur de l’ordre « païen» au 4ème siècle, le dieu des dieux, grand ordonnateur du cosmos et de la création.

Deux millénaires plus tard, le culte au dieu soleil semble renaître grâce à l’alliance opportuniste d’un certain dogmatisme écologique et du capitalisme financier qui trouve dans le présent désarroi de l’agro-industrie un terreau propice et accueillant.

Ses nouveaux temples, des champs grillagés toujours plus vastes, couverts de panneaux photovoltaïques, encombrés de câbles, de transformateurs, de citernes, dûment surveillés par des caméras, colonisent désormais nos campagnes.

Des centaines, des milliers d’hectares de terres agricoles, d’espaces naturels ou forestiers, souvent déjà surplombés d’éoliennes, sont ainsi confisqués, privatisés, artificialisés. 

Des écosystèmes sont modifiés voire détruits.

Les paysages, fruits millénaires de la géographie et du travail des hommes s’altèrent, se dénaturent, s’industrialisent. Tout un patrimoine naturel et historique est défiguré par ces usines qui, à l’abri du concept vague d’agrivoltaïsme, semblent vouloir s’étendre à l’infini.

Il faudrait nous dit-on, en passer par ce sacrifice pour réussir la transition nécessaire vers une économie décarbonée, en finir avec les énergies d’origine fossiles et parvenir in fine à contenir le dérèglement climatique.

L’argumentaire à suivre montre que faire du dieu soleil l’alpha de cette transition (dont l’oméga serait donc Eole, le dieu du vent, tout aussi intermittent et non pilotable) relève de la pensée magique et d’un leurre désastreux, aussi coûteux que fâcheux et aventureux.

A/ Le photovoltaïque mode d’emploi

L’énergie tirée du soleil est aujourd’hui exploitée et transformée sous deux formes :

  • Le solaire thermique qui capte et concentre la chaleur du rayonnement solaire. Cette chaleur collectée est utilisée comme telle ou bien transformée en énergie mécanique, puis en électricité. On parle dans ce dernier cas de solaire thermodynamique.
  • Le solaire photovoltaïque, qui transforme directement le rayonnement du soleil en électricité grâce à ces panneaux composés de cellules semiconductrices de silicium « dopé » positivement ou négativement par d’autres matériaux (le bore, le phosphore) pour « flécher » les électrons et créer un courant électrique.

Cette exploitation de l’énergie solaire est aujourd’hui effective de deux façons :

  • Des équipements individualisés, s’adressant aux particuliers ou à de petites collectivités. Des panneaux photovoltaïques permettent d’alimenter des équipements électriques en autoconsommation ou en circuits courts, tandis que des capteurs thermiques chauffent les logements et/ou produisent de l’eau chaude sanitaire.
  • De grandes unités, des « centrales solaires », qu’elles soient photovoltaïques, thermiques ou thermodynamiques, déployées sur des centaines d’hectares, produisent à grande échelle de l’électricité ou de la chaleur intégrable sur les réseaux.

Ces deux modes ont en commun une règle incontournable lié à la nature du soleil lui-même : l’intermittence qui impose des moyens de stockage ou des sources d’énergie complémentaires le plus souvent carbonées pour répondre aux besoins d’électricité en temps réel.

Si le premier mode dont l’économie repose sur un calcul domestique ou local, voire coopératif, semble vertueux à tous égards et digne d’être encouragé, le second, industriel, par sa dimension et sa dispersion aujourd’hui massive et anarchique sur les territoires ruraux et les espaces naturels, agricoles ou forestiers présente en revanche des risques économiques et environnementaux tout à fait cruciaux.

B/ Le risque environnemental du photovoltaïque

On pourrait dire au risque de froisser l’éolien que le photovoltaïque a le vent en poupe aujourd’hui en France. 3GW de nouvelles capacités ont été installées en 2023*. On est apparemment pour 2024 sur un rythme annuel de 4GW en ligne avec l’objectif présidentiel de 100 GW en 2050 (Emmanuel Macron à Belfort-2022)). Avec près de 20 GW de puissance photovoltaïque installée fin 2023, la France pointe déjà à la 4ème place en Europe, derrière l’Allemagne, l’Italie, au coude à coude avec l’Espagne.

        B-1/ le photovoltaïque, enjeu ignoré d’aménagement du         territoire

Dans les conditions techniques présentes, à raison au mieux d’1MW-crête par hectare de panneaux solaires installés, le photovoltaïque – dont l’efficacité mesurée, le rapport entre la puissance crête annoncée et la production effective, est en France de l’ordre de 15%, se présente en premier lieu comme une énergie très vorace en espace. A puissance égale, le solaire exige des surfaces 131 fois plus importantes que le nucléaire (78 fois pour l’éolien terrestre) *.

Faire du photovoltaïque un des piliers de la transition énergétique avec cet objectif  de 100 GW, soit 100 000 ha de panneaux solaires, soit 1000 km2, un étendue plus vaste que la métropole du Grand Paris (800km2), pose à l’évidence des défis d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement qui, étrangement n’ont pas été jusque-là envisagés comme tels

et sont laissés pour l’essentiel à l’initiative privée.

Certes, à l’origine, le développement photovoltaïque semblait borné. En cohérence avec l’idée même de protection de l’environnement, en conformité aussi avec la loi « Climat et Résilience » de 2021 et son objectif « Zéro Artificialisation Nette en 2050 », il s’agissait de privilégier l’implantation de panneaux solaires à grande échelle sur des surfaces déjà artificialisées ou délaissées. La loi d’Accélération pour les Energies Renouvelables (ApER) de mars 2023 le rappelle encore.

Et pour cause ! Dans ses « trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060 *» s’appuyant sur des études de 2015 affinées jusqu’en 2018, date de parution de son étude, l’ADEME évaluait déjà le gisement de panneaux solaires photovoltaïques à 95 GW au sol (friches, délaissés d’autoroutes, parkings, etc.) et à 123 GW le gisement sur grandes toitures. Plus de deux fois l’objectif affiché.

Mais faute d’une volonté sans faille et de règles réellement contraignantes, cette priorisation n’est pas concrètement mise en œuvre.

Sous l’impulsion des lobbies, les rares obligations décidées sont presque aussi souvent détournées ou assorties d’exceptions qui altèrent leur substance et en réduisent la portée.

Ainsi des grands parkings. L’article 40 de la loi ApER impose une obligation de couverture sur au moins la moitié de la surface des parkings de 1500 m2 et plus. Mais l’arrêté paru le 5 mars 2024 soumet entre autres cette obligation nouvelle à des conditions de rentabilité que l’opérateur n’aura aucun mal à évoquer pour s’éviter l’investissement s’il le juge inopportun*.

B-2/ Le photovoltaïque à la conquête des espaces naturels et agricoles

En revanche, sur la même période, les terres agricoles, naturelles ou forestières sont prises d’assaut par les promoteurs photovoltaïques. Le terme n’est pas trop fort puisqu’on estime à près d’1 million d’hectares les surfaces déjà « contractualisées » pour accueillir des projets photovoltaïques dans les campagnes* (Enquête Reporterre – janvier 2024), soit 10 fois la surface requise pour l’objectif 2050.

Trois raisons principales à cette ruée dangereuse pour les paysages, la biodiversité ainsi que pour la stabilité du système d’approvisionnement électrique et son coût pour le consommateur final.

La première est qu’il est évidemment plus simple, moins contraignant, moins couteux et donc plus rentable de poser des panneaux solaires dans les champs que sur les toits.

La deuxième est que les opérateurs, pour la plupart multicartes et multiproduits, sentant monter la saturation voire l’exaspération éolienne, ont maintenant ajouté le photovoltaïque à leur catalogue de remèdes au désarroi agricole par l’industrialisation des campagnes.

La troisième, corollaire, est que leur réseautage intensif dans le monde paysan depuis près de deux décennies trouve là un relais de croissance opportun. Les infrastructures de raccordement sont en place ou programmées. Les esprits sont préparés.

Et l’accueil est souvent favorable aussi bien dans les fermes que dans les mairies qui, fréquemment dans le monde rural, en sont comme les annexes ou à tout le moins les relais efficaces.

Ceux qui ont eu de l’éolien reprendraient bien un peu de photovoltaïque. Ceux qui n’en ont pas eu ne veulent pas cette fois laisser passer leur tour. « C’est la course à l’échalote sur le terrain », constate Olivier Dauger, vice-président de la FNSEA, désormais coprésident de France Agrivoltaïsme, dans l’enquête de Reporterre.

De fait, la question n’est plus tant aujourd’hui celle de la transition énergétique que celle des ressources nouvelles à imaginer pour régler le malaise revendicatif de la profession agricole. Or à raison de 3 à 5000 € l’hectare par an, pendant 20,30 ou 40 ans, même répartis entre l’exploitant et le propriétaire, le photovoltaïque a des arguments frappants, sonnants et trébuchants à faire valoir.

B-3/ Le mensonge agrivoltaïque industriel

Le concept d’agrivoltaïsme est fort opportunément apparu dans le débat public pour camoufler sous les meilleures intentions la métastase industrielle en cours dans les campagnes françaises.

Imaginés au départ au Japon, dans une perspective d’appoint électrique local à de petites exploitations agricoles, ces dispositifs sont transposés en France par Christian Dupraz, chercheur à l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) qui crée au début de la décennie 2010, le programme de recherche Sun’Agri, aujourd’hui intégré à l’entreprise Sun’R (Crédit Agricole, BPI France, Rgreen Invest).

Initialement expérimentaux et toujours réservés aujourd’hui à de petites surfaces (3 à 5ha), les installations agrivoltaïques de Sun’Agri* dont une vingtaine sont en fonction dans le sud-est, concernent essentiellement des cultures maraîchères et fruitières.

Elles sont équipées de dispositifs sophistiqués de panneaux orientables gérés électroniquement pour permettre une gestion fine de la répartition de la lumière entre les productions de biomasse et d’électricité.

Il s’agit là d’investissements à haute intensité technologique, dont la production agricole est effectivement la priorité effective, sans commune mesure avec les kilomètres de panneaux en enfilade et rangs serrés qui semblent être le lot commun de la plupart des projets qui déferlent désormais partout.

Car somme souvent, les pionniers ont ouvert une voie qui désormais leur échappe. Flairant le filon, les grands industriels de l’énergie et la FNSEA se sont lancés dans l’aventure avec tous les leviers du lobbyisme où ils excellent.

C’est ainsi qu’on les retrouve en cogestion et coprésidence de France Agrivoltaïsme, le lobby qui a non seulement obtenu du Sénat l’introduction d’une définition de l’agrivoltaïsme dans la loi d’accélération des énergies renouvelables qui ne figurait pas dans le projet gouvernemental initial, mais qui en a aussi largement dicté les termes et conditions de mise en œuvre en particulier par le décret du 8 avril 2024.

Ce lobby et le législateur avec lui, ont vu large et profitable, en particulier en fixant à 40% le plafond de couverture en panneaux des parcelles photovoltaïques là où les scientifiques de l’INRAE recommandaient un maximum de 20%*.

Rendons la parole à Christian Dupraz commentant ce décret dans la Dépêche du Midi du 4 avril 2024 : « Ce taux de 40 %, c’est une victoire à la Pyrrhus pour les porteurs de projets. A ce niveau de couverture, on a en moyenne plus de 40% de pertes de production agricole. Or le décret limite la perte de production admissible à 10%. On demande donc l’impossible. Si les industriels font n’importe quoi, les agriculteurs arrêteront très vite de cultiver !»

Bref, il y aura bien des panneaux et leur rente solaire, mais en dessous, une production de biomasse insuffisante pour justifier l’effort d’une production agricole significative, rentable et pérenne.

Des contrôles à postériori sont d’ailleurs prévus. Mais qui osera ordonner le démantèlement des parcs qui, immanquablement dérogeront à la loi, et prendre ce faisant le risque d’une nouvelle jacquerie dans les campagnes ?

Deux précautions valant mieux qu’une, tandis que le lobby agrivoltaïque œuvrait à la rédaction d’une loi aussi peu contraignante que possible, les opérateurs et leurs partenaires agriculteurs multipliaient les projets et les demandes de permis avant la parution des décrets d’application de la loi APER qui ne sauraient donc leur être appliqués.

« Beaucoup d’industriels ont été tentés de passer en force, conclut Christian Dupraz. C’est un peu le farwest !» C’est en effet la sensation qui se répand à juste titre dans les campagnes françaises et parmi les associations engagées dans la protection de l’environnement et du cadre de vie. Celle d’une frénésie sans bornes, guidée par le seul appât du gain, qui a totalement perdu de vue le souci environnemental et dont on se demande bien aujourd’hui qui osera l’arrêter.

B-4/ Le photovoltaïque nuisible à la biodiversité

A entendre ses promoteurs, le photovoltaïque bénéficierait d’une meilleure acceptabilité que l’éolien. Certes moins visible (de loin), il serait également moins dangereux pour les écosystèmes et la biodiversité faunistique et floristique. Or cette idée reçue, largement relayée par la propagande des promoteurs, est très sérieusement battue en brèche par un avis récent du Conseil National de Protection de la Nature*. Il s’avère que le photovoltaïque industriel est un danger, un de plus, pour la biodiversité. Le CNPN qui s’est auto-saisi du dossier car étrangement personne jusque-là n’avait songé à l’interroger, explique dans ce document en date du 19 juin 2024 qu’en détruisant les écosystèmes préexistants, les centrales photovoltaïques ont pour effets :

  • « une perte d’habitat de nidification et d’alimentation pour les oiseaux,
  • la disparition d’arbres utilisés par les chauves-souris pour se reproduire, hiberner ou chasser,
  • un appauvrissement de la flore ‒ tant en quantité qu’en diversité ‒ et des insectes pollinisateurs qui y sont associés,
  • la mortalité de la petite faune qui s’y trouve lors des travaux, en particulier les reptiles et les amphibiens en phase terrestre,
  • la constitution de « pièges pour les insectes polarotactiques  (ce sont les espèces qui sont guidées par la polarisation horizontale de la lumière qui se réfléchit sur l’eau, et qui viennent y pondre ou s’y poser),
  • des collisions avec les oiseaux et les chiroptères,
  • des ruptures de continuités écologiques pour les mammifères, du fait des clôtures de protection » …

Le CNPN formule sur cette base 21 recommandations dont la première est de « mettre un terme à l’implantation de centrales photovoltaïques au sol dans les aires protégées et les espaces semi-naturels, naturels et forestiers » … Cette recommandation d’urgence posée, le CNPN propose en fait une esquisse précise, rigoureuse et argumentée ce que pourrait être un plan de développement organisé et rationnel du photovoltaïque en France qui respecte véritablement l’environnement et la biodiversité.

Dans sa 3ème recommandation, le CNPN s’inquiète en particulier de l’incidence du décret du 8 avril 2024 sur l’agrivoltaïsme, pour estimer à son tour que « le taux de couverture autorisé à 40% est excessif ». Il demande qu’on s’assure que « les projets ne se fassent pas au détriment d’une agriculture agroécologique diversifiée (y compris en termes de diversité génétique des espèces cultivées et élevées) et au détriment de la biodiversité sauvage, tant au niveau de la parcelle qu’au niveau de l’exploitation. »

Pour que la priorité au photovoltaïque en zones déjà artificialisées ne soit plus un vœu pieu, ses recommandations n°5 et n°6 portent sur des objectifs chiffrés ambitieux dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour la production d’énergie solaire sur les bâtiments et les parkings.

Sa recommandation n°7 visant à « privilégier l’effort de production aux zones densément peuplées » est elle aussi frappée au coin du bon sens de l’aménagement du territoire. « L’énergie photovoltaïque est celle qui est le plus à même de limiter les inégalités de production énergétique entre territoires : la ville peut produire une part non négligeable de l’énergie dont elle a besoin ».

Ce ne serait que justice en effet et soulagerait les campagnes d’avoir à porter l’essentiel du fardeau paysager des énergies renouvelables, d’autant plus facile à supporter et à défendre par les écologistes citadins les plus dogmatiques qu’ils n’en subissent aujourd’hui pour la plupart aucune des nuisances.

Le CNPN fait ensuite des recommandations de précaution pour les installations au sol à venir si elles s’avéraient finalement nécessaires.

  • Soumettre les centrales photovoltaïques à la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) puisque, comme l’indique l’article L. 511-1 du code de l’environnement, elles peuvent en effet «présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique».
  • Clarifier la procédure de déclenchement des demandes de dérogation espèces protégées à laquelle échappent le plus souvent ces projets malgré « une modification significative des conditions d’habitats pour les espèces protégées » qu’ils induisent.
  • Mettre en place un programme de suivis des mortalités potentielles sur les centrales au sol existantes, concernant aussi bien les panneaux que les clôtures.

Le CNPN s’étonne enfin qu’il n’existe pas en France de dispositif fonctionnel permettant de suivre l’évolution de l’emprise des constructions de centrales photovoltaïques au sol. Aucun acteur n’est en mesure de connaître précisément le nombre d’hectares de forêts, de garrigues ou de pelouses sèches qui préexistaient sur les emplacements des actuelles centrales photovoltaïques à l’échelle nationale. De même, il n’existe pas de « cadastre solaire » fonctionnel à l’échelle nationale pour les toits et les

Parkings, ce qui complique la planification nécessaire ».

On retrouve ici en termes policés, le « farwest » évoqué plus haut

et par conséquent l’impérieuse nécessité d’une approche nationale d’aménagement du territoire pour le déploiement des énergies renouvelables qui se dote enfin des outils préalables de mesure, d’information, et de planification qui feraient beaucoup pour sa crédibilité et son acceptation. 

Cet avis extrêmement important et documenté du CNPN vient donc très utilement compléter par une approche véritablement écologique, l’inventaire jusque-là essentiellement économique et technique des inconvénients et des risques du photovoltaïque industriel au sol et que nous rappelons maintenant dans ces grandes lignes.

C/ Le risque économique et technique du photovoltaïque

Pas plus que l’éolien, et souvent pour des raisons analogues, le photovoltaïque industriel au sol n’est une solution rationnelle pour la transition énergétique en France. Leur handicap majeur est leur intermittence. Elle est plus marquée encore pour le photovoltaïque que pour l’éolien. Il peut y avoir du vent la nuit quand il n’y a plus de soleil. Et le photovoltaïque est le plus productif l’été, autour de midi, quand les besoins en énergie sont les plus faibles. C’est ce qu’on appelle la « cloche solaire ». Avec un rendement d’environ 15% des puissances-crêtes annoncée, le photovoltaïque est ainsi deux fois moins efficient que l’éolien (28%) et tout aussi capricieux.

Or en France, la production d’électricité est déjà décarbonée à 92%, essentiellement grâce à l’hydraulique et au nucléaire, les deux sources pilotables qui en fournissent plus des trois-quarts *.

Vouloir à marche forcée compléter ou remplacer cette production classique par des énergies renouvelables intermittentes (ENRi), des énergies variables dépendantes des conditions météorologiques, c’est – à défaut de moyens de stockage massif qui font aujourd’hui défaut –  réintroduire un facteur aléatoire de rareté ou de surabondance dans l’approvisionnement en électricité qui par nature exige un équilibre permanent entre production et consommation.

C’est donc prendre le risque d’une instabilité permanente économique pour le marché*, technique pour le réseau* (interconnecté en Europe) qui obscurcit considérablement l’horizon d’investissement des producteurs comme des investisseurs.

        C-1/ Le coût de l’intermittence

Cette instabilité qui croit à mesure que se développent les ENRi contraint aussi les opérateurs de réseau à des investissements de vigilance et de sécurité considérables qui viennent s’ajouter aux centaines de milliards d’euros nécessaires (200 milliards en France pour RTE et Enedis) pour intégrer la multiplication des sites de production partout sur le territoire*. L’essentiel de la hausse de prix de l’électricité pour le client final (entreprises et particuliers), en Europe et donc maintenant en France trouve là son explication. *

Les prix montent et dans le même temps, toujours à cause de l’intermittence, les cours sur le marché de gros fluctuent comme jamais, à hausse comme à la baisse, au gré du vent et du soleil.

La production d’électricité en Europe peut ainsi dans la même journée voir plonger vertigineusement son prix et le voir remonter tout aussi vite quand vient la nuit. En Allemagne par exemple, le 14 avril 2024, les prix sont passés de –150 € le MWh à 15h à +130 €/MWh à 19 h. En France, le même jour, la variation était de -55€/MWh à +30€/MWh, considérable mais plus limitée en raison de la moindre proportion d’ENRi dans la production.

Les épisodes de prix négatifs dont bien sûr le consommateur final ne voit pas la couleur puisqu’il lui faut payer l’adaptation du réseau, deviennent de plus en plus fréquents.

Certains opérateurs préfèrent payer pour qu’on les débarrasse du courant superflu plutôt que de ralentir ou d’effacer (de déconnecter) leurs centrales trop coûteuses à relancer !

Dans le cas où l’achat est garanti à prix fixe, ancien régime qui profite toujours à 24 GW d’installations renouvelables en France, soit plus de la moitié du parc installé, c’est évidemment l’argent public via RTE qui compense la différence.

Pour limiter la surproduction, EDF est contraint de réduire sa production d’origine nucléaire en modulant de plus en plus fréquemment la puissance de ses réacteurs.

En avril 2024 encore, et pour cette même raison, EDF a notamment dû arrêter 7 puis 5 réacteurs nucléaires durant deux week-ends consécutifs ! « On n’a pas de preuve que la modulation fatigue prématurément les réacteurs, mais avec les arrêts à répétition, on entre dans l’inconnu », s’inquiétaitLuc Rémont, le PDG d’EDF au printemps dernier devant une commission d’enquête du Sénat*.

Les coûts du nucléaire installé étant essentiellement des coûts fixes, que les réacteurs fonctionnent à plein régime ou pas, les ralentir ou même les arrêter pour « laisser passer » les ENRi revient aussi à renchérir le coût du KWh nucléaire et à grever son avantage compétitif.

En exportant qui plus est son électricité d’origine éolienne et solaire dans les périodes d’offre surabondante et de prix bas en Europe, la France permet aux pays importateurs d’arrêter leur production d’énergie carbonée ce qui revient à dire qu’elle finance à vil prix la décarbonation énergétique de ses voisins européens les moins vertueux.

« La capacité décarbonée d’EDF est la contrepartie de tout le monde en Europe, constatait Luc Rémont dans la même intervention. On a de grands voisins qui produisent de l’électricité décarbonée quand les éléments le décident. Et lorsqu’il n’y a plus de production, il n’y a plus que le parc nucléaire français comme capacité de production décarbonée commandable en Europe. »

Rappelons à cet égard que l’Allemagne, championne des ENRi en Europe, ne parvient pas pour autant à décarboner son électricité, toujours 6 fois plus émettrice de CO2 que celle de la France (346 g contre 57g par kW en 2021) *.Tout simplement parce qu’elle doit comme tous les pays dépourvus d’hydraulique et de nucléaire. Recourir à des moyens de production carbonés (charbon, gaz) pour compenser les épisodes sans soleil et sans vent… sauf quand il reste des disponibilités d’exportation au nucléaire français.

Le développement à marche forcée des ENRi n’est donc même pas la voie la plus efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’on nous sert pourtant comme justification depuis l’origine. Il prend chaque jour un peu plus l’allure d’un énorme gâchis économique et d’un handicap de compétitivité majeur et librement consenti que l’Europe entière,

Avec son énergie chère, paie déjà par une reprise du mouvement de désindustrialisation qu’elle espérait avoir endigué.

Il pourrait in fine se traduire par une régression de fait si, comme certaines voix en Allemagne commencent à le suggérer avec insistance, on revenait en Europe à un système de consommation contraint dans lequel la demande devrait s’adapter à l’offre et non plus l’inverse*. Où il faudrait attendre que le soleil et le vent soient au rendez-vous pour faire tourner les usines, recharger les voitures électriques, ou faire la lessive… Belle avancée !

                C-2/ Une filière chinoise

Non seulement nous altérons à prix d’or et sans nécessité l’attractivité de paysages patrimoniaux que le monde entier nous envie, mais nous les couvrons qui plus est de panneaux chinois !

Si le soleil est à tous, l’énergie solaire elle, est aujourd’hui presque exclusivement une industrie chinoise*.

La Chine assurera en 2025, 95% de la production mondiale de polysilicium de qualité solaire. Elle fabrique déjà 80% des panneaux photovoltaïques. Elle emploie avec ses sous-traitants du reste de l’Asie, 90% des salariés de cette filière industrielle, contre 3% pour l’Europe et 1% pour les Etats-Unis.

Un quasi-monopole qui s’est construit à la chinoise, en deux temps trois mouvements.

Une volonté politique sans égard ni scrupule pour l’environnement, la santé, les droits de l’homme.

Des subventions massives pour bâtir au plus vite un outil industriel ultra-compétitif à l’échelle de son énorme marché intérieur et de ses ambitions mondiales.

Une attaque en règle des marchés internationaux avec des produits au moins 30% moins chers.

L’offensive chinoise est alors favorisée par des barrières douanières fluctuantes en particulier en Europe où les mesures de protection décidées en 2013 sont supprimées dès 2018. L’Europe, tout à sa nouvelle passion pour les ENRi, ne voulait pas pénaliser ses importateurs en renchérissant leurs achats, signant ainsi l’arrêt de mort de sa filière industrielle photovoltaïque.

Et ce ne sont pas les gesticulations récentes en France comme en Europe pour rattraper le train en marche qui risquent de changer la mise. Il est trop tard. Comme le titrait le journal Le Monde en juillet 2024, pour les panneaux solaires, «la Chine a raflé la mise » *.

Tout au plus peut-on imaginer (espérer ?) que l’Europe sera au rendez-vous du défi du recyclage. Les premiers panneaux arrivant en fin de vie, 4 millions de tonnes de déchets seront à traiter en 2030. 200 millions de tonnes dans le monde en 2050*.

Ce triomphe chinois, cet abandon de souveraineté européen sont d’une extrême gravité non seulement du point de vue stratégique, industriel ou économique, mais aussi sur les plans éthique et environnemental.

Sur le plan environnemental d’abord. Si le silicium est disponible en grande quantité partout dans le monde, son raffinement nécessite de très hautes températures. L’électricité représente 40% des coûts de cette industrie. En Chine, c’est le charbon qui la fournit pour l’essentiel. L’extraction du silicium et son traitement provoquent des rejets massifs dans l’atmosphère dont les salariés et la population alentour font les frais*.

Sur le plan éthique ensuite. La production chinoise est concentrée dans deux régions, dont le Xinjiang qui en assure 40%. Le Xinjiang est la terre des Ouïgours qui sont soumis au travail forcé par une politique d’assimilation impitoyable largement documentée.

Quand la France couvre ses campagnes de panneaux chinois au nom de la protection de l’environnement, elle importe donc massivement de la pollution et du travail d’esclave.

Les agriculteurs européens réclament à juste titre qu’on les protège de la concurrence des productions importées de pays qui ne respectent pas les mêmes règles sociales ou environnementales que celles de l’Union.

Il serait tout aussi légitime que ce sain principe s’applique également aux produits industriels et donc aux panneaux photovoltaïques !

Comme le dit si bien Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, * « L’Europe ne doit pas être une passoire et elle ne peut pas importer des produits qui ne respectent aucun de nos standards ».

Dont acte.

                D/ Du rififi dans les campagnes

Revenons pour finir dans nos champs !

La cuisine photovoltaïque met à juste titre les campagnes en ébullition.

La profession agricole est naturellement tout émoustillée par la manne qui semble vouloir lui tomber du ciel. On le serait à moins.

Pensez donc :  3000 € de loyer par an et par hectare, sans aléas climatiques, pour 20 ou 30 ans reconductibles, certes à partager entre propriétaire et exploitant, mais comment résister…

C’est un peu comme si la Politique Agricole Commune et ses subventions à l’hectare s’était dotée d’un inattendu volet énergétique, moins incertain, moins exigeant et surtout beaucoup plus généreux.

Une double idée, contradictoire, s’est répandue dans les fermes :

Il en faudra pour tout le monde et… c’est trop beau pour durer, il pourrait bien ne pas y en avoir pour tout le monde, dépêchons-nous donc ! D’où la ruée, d’où le « farwest » !

Avec 1 million d’hectares convoités, pour un objectif 10 fois inférieur dont on a vu qu’il pourrait être largement atteint sans recourir aux terres agricoles, les désillusions seront forcément nombreuses, les arbitrages d’autant plus douloureux qu’ils seraient tardifs.

Car à tous les arguments déjà évoqués s’en ajoutent d’autres, tout aussi décisifs, certains propres à l’agriculture elle-même et d’autres qui relèvent des risques quasi existentiels que l’industrialisation en cours fait peser sur la vitalité des campagnes françaises.

        D-1/ Le foncier déboussolé*

Le premier concerne le marché foncier, enjeu crucial pour une profession qui doit se renouveler pour moitié dans les prochaines années.

Une terre couverte de panneaux devient une rente lucrative qui rendra d’autant moins urgent leur retrait des plus âgés et la cession de leurs terres.

Une terre équipée de photovoltaïque devient de toute façon inaccessible à la plupart des candidats potentiels à la reprise, puisque la rente solaire qui l’accompagne va faire flamber son prix.

Une terre louée à un opérateur énergétique pour une ou deux générations, échappe de fait au contrôle véritable de son propriétaire qui perd en autonomie ce qu’il gagne en revenus garantis.

Sentant monter cette critique portée entre autres et légitimement par les Jeunes Agriculteurs, les opérateurs allument ces derniers temps quelques contre-feux révélateurs.

Photosol et Akuo se lancent ainsi dans le « portage de foncier » dont le mécanisme est le suivant*. Les opérateurs achètent eux-mêmes les fermes et leurs terres agricoles sur lesquelles ils installent leurs panneaux photovoltaïques et un agriculteur à qui ils proposent au bout de 4 ou 5 ans de racheter à crédit la terre qu’il a commencé à travailler.

Evidemment présentée comme une généreuse facilité accordée à l’installation de jeunes exploitants, l’innovation a tout du nœud coulant renforcé, et témoigne de la forte tentation de mainmise des opérateurs sur les terres qu’ils convoitent.            




D-2/ Vocation et location

Le photovoltaïque industriel sur les terres agricoles est évidemment un coup dur, presque un affront pour ceux qui, comme la Confédération Paysanne, n’entendent pas «tomber dans le panneau» et continuent de penser que «l’agriculture doit permettre à un maximum de paysans de vivre décemment de leur métier en produisant sur des exploitations à taille humaine une alimentation saine et de qualité, sans altérer les ressources naturelles de demain.»

Même si le dépit dans la profession est assez général et manifeste*, il serait sûrement abusif de dire des agriculteurs qui choisissent «de vivre du loyer de leurs terres pour la production l’énergie ou de l’entretien des panneaux » qu’ils auraient perdu le goût du métier et le sens de sa mission nourricière.

Il n’en reste pas moins que la taille croissante des projets (des dizaines, des centaines d’hectares), le flot d’argent induit qui va se déverser sur les campagnes pour de longues années sans rien devoir à l’agriculture elle-même, ne semblent pas devoir nous rapprocher des efforts et des remises en question qui seraient probablement nécessaires à l’avènement d’un nouveau modèle agricole, plus durable, plus soutenable et plus respectueux de la nature et de l’environnement.

Si nécessité fait loi, l’inverse est vrai aussi. Si changer n’est plus nécessaire, alors le changement attendra.

        D-3 / L’IFER et les ZADER

La plupart des communes rurales, souvent dirigées ou contrôlées par les agriculteurs eux-mêmes, et dont nombre d’élus sont parties prenantes aux projets photovoltaïques, ont-elles aussi les yeux de Chimène pour la manne solaire. 

Elles en espèrent une ressource nouvelle, l’IFER, impôt payé par les entreprises de réseau qui a remplacé la taxe professionnelle dans l’arsenal fiscal : 3,479 € par KW installé pour les centrales mises en service après le 1er janvier 2021. C’était 8,36 € par KW auparavant. Il n’est pas dit que la décrue s’arrêtera là.

Cette taxe est répartie entre les départements (½) et les intercommunalités (½) qui en reversent généralement la moitié à la commune concernée. 

C’est donc pour ce quart d’IFER que les communes, quand elles ont pris la peine de se conformer aux injonctions de la loi d’accélération des énergies renouvelables (APER) de mars 2023, ont donc récemment défini des zones d’accélération pour les énergies renouvelables (ZADER) qui  correspondent le plus souvent aux parcelles convoitées par les opérateurs dont les projets leur étaient connus.

Cette convergence qui ne s’embarrasse guère de formalités superflues ni de réflexion approfondie, encore moins de débat véritablement démocratique sur l’avenir des territoires, mériterait sans doute qu’on l’analyse en détail, au cas par cas, pour y vérifier notamment ce qu’elle pourrait receler de conflits d’intérêt.

Mais dans sa version la plus acceptable, c’est donc un rêve d’IFER qui la motive.

Or ce rêve a tout du mirage, en particulier parce que l’Etat central, lui aussi impécunieux, assure en moyenne par ces dotations près du tiers du budget des communes. Il serait impensable qu’il les laisse durablement s’enrichir sans prélever sa dîme. Il dispose d’ailleurs pour ce faire de tous les mécanismes de péréquation nécessaires. *

Nombre d’édiles échaudés se mordent déjà les doigts d’avoir accueilli des éoliennes à bras ouverts sur leur territoire sans avoir pu durablement profiter de toutes les contreparties promises,

De nouvelles désillusions, photovoltaïques cette fois, sont à craindre. Entretemps, les villages auront changé de visage.

D-4/ Soleil et désert – Conclusion

La vitalité des territoires ruraux ne saurait se mesurer à la relative prospérité d’une seule de ses corporations, même si son activité est essentielle à la souveraineté, ici alimentaire, du pays tout entier.

Imaginer que l’industrialisation des campagnes par leur équipement massif en installations de production d’électricité éolienne ou photovoltaïque servirait globalement l’intérêt des territoires, c’est faire fi de la diversité des populations et des activités qui aujourd’hui les animent et font une grande part de leur attractivité.

Il y a là non seulement des paysans qui ne se voient pas « cultiver des kilowatts », mais aussi des artisans, des commerçants, des hébergeurs, des visiteurs qui les font vivre. Il y a aussi d’anciens citadins qui cherchent une qualité de vie que ne leur procure plus la ville. Des services publics quand il en reste.

Que restera-t-il de ces villages encore vivants, si leurs paysages sont défigurés, si leurs accès se transforment brutalement en zones industrielles, en centrales électriques à ciel ouvert, si la moindre promenade alentour doit se transformer en parcours du combattant, entre deux rangées de hauts grillages, vides de faune et de flore, et sous surveillance-vidéo ?

Les visiteurs chercheront d’autres havres plus accueillants et plus conformes à l’image qu’ils se faisaient de cette « Douce France » qui attire encore bon an mal an 100 millions de touristes étrangers. Rappelons en passant que leur contribution au commerce extérieur était en 2023 trois fois supérieure à celle de l’agriculture*. Nous aurions donc tort de les négliger.

Les commerces fermeront, les artisans s’en iront. La population déclinante plus vite encore, les services publics seront toujours plus menacés, des classes, puis des écoles fermeront. Toute dynamique territoriale sera brisée. Ce sera un nouvel exode rural.

Le désert nous guette aux confins du « farwest ». Le temps nous est compté pour un retour à la raison.

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Documentation

  • https://www.pnc-france.org/rte-schema-decennal-de-developpement-du-reseau/
  • https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-13-novembre-2024-9279340