La nouvelle programmation pluriannuelle, qui doit être adoptée par décret en avril, est critiquée par le haut-commissaire à l’énergie atomique. Le RN exige un vote.
Publié le 13/03/2025 à 11h55 LE POINT
La centrale nucléaire de Flamanville (Manche). © Stephanie Lecocq / REUTERS
Le compte à rebours est lancé. Dans moins d’un mois, début avril, le gouvernement prévoit d’officialiser par décret la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3), un document essentiel fixant la trajectoire énergétique française jusqu’en 2035. Publiée le 4 novembre et ouverte à consultation publique depuis le 7 mars, cette feuille de route, très attendue, répond à une urgence : remplacer la PPE précédente, qui prévoit encore la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, une mesure abandonnée après le discours de Belfort en 2022. Le document promet une révolution verte : relance du nucléaire, explosion des énergies renouvelables, électrification massive des usages pour coller au « Fit for 55 » européen (d’ici à 2030, les émissions de la France devront avoir baissé de 23 % ). Mais, à l’approche de l’échéance, la tempête gronde…
Dans un avis corrosif destiné à Matignon, que Le Point a consulté, le Haut-commissaire à l’énergie atomique, Vincent Berger, lance l’alerte sur un plan qu’il juge économiquement insoutenable et techniquement peu crédible, dans un contexte de tensions budgétaires et géopolitiques. « On s’engage dans une surproduction ruineuse et des investissements mal calibrés », confie un proche du dossier, pointant une rigidité française potentiellement dangereuse. « Cette PPE mériterait d’être davantage travaillée et de ne pas sortir trop vite », a sobrement résumé l’ex-grand patron Louis Gallois, auditionné le 13 mars devant les députés, s’alarmant d’une trajectoire « surprenante » dont « les coûts complets n’ont pas été appréciés. »
Des prévisions de demande « surestimées historiquement »
Pour décarboner dans les délais, la PPE3 prévoit une forte hausse de la production électrique, essentiellement portée par le développement des énergies renouvelables : quadruplement du photovoltaïque (qui passerait de 23,3 TWh en 2024 à 93 TWh en 2035) et triplement de l’éolien (de 45,8 TWh à 150 TWh), pour une production totale estimée entre 640 et 692 TWh, contre 536,5 TWh aujourd’hui. Une « politique volontariste de l’offre qui fait peser un risque de surproduction », alerte Vincent Berger, si l’électrification des usages ne suit pas. Or tous les indicateurs sont au rouge.
« Les prévisions de demande ont toujours été surestimées historiquement. Dans les années 1980, EDF anticipait une croissance exponentielle qui ne s’est jamais réalisée. » Les données de 2024 confirment ce scepticisme : 85 000 rénovations énergétiques financées contre 200 000 prévues, 300 000 véhicules électriques immatriculés contre 430 000 attendus… Les ventes de véhicules électriques plafonnent à 17 % du marché. Et rien n’indique une future accélération – au contraire. « Les Français achètent des voitures d’occasion à 4 000 euros, pas des modèles électriques à 40 000 euros, confie un conseiller. Et nous ne sommes pas une dictature, on ne peut pas les forcer à acheter… »
L’excédent de production électrique, évalué à 130 TWh, risque de ne pas pouvoir être exporté, ce qui pénaliserait fortement le contribuable et le consommateur : le marché européen est déjà saturé par les 173 GW de renouvelables allemands, dépassant la consommation maximale du pays (80 GW). Les épisodes de prix quasi nuls ou négatifs de l’électricité en Europe se multiplient. « En 2024, on a compté plus de 300 heures de prix négatifs, deux fois plus qu’en 2023, et 1 300 heures sous 10 €/MWh, trois fois plus », précise Vincent Berger.
À ces niveaux, EDF vend à perte, tandis que la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE, ex-CSPE, multipliée par 5 depuis son origine) continue de financer les tarifs de rachat des renouvelables, un mécanisme qui alourdit les factures. « Le consommateur paie en quelque sorte deux fois une électricité qui n’est même pas nécessaire… », écrit le haut-commissaire.
Le nucléaire sous pression
Le nucléaire, avec 361,6 TWh en 2024 (67,4 % du mix), reste essentiel, produisant une électricité à 4,2 gCO₂/kWh selon EDF – bien que la PPE3 l’estime à 12 g sans justification claire. Le discours de Belfort de 2022 a relancé la filière avec six EPR2 prévus et l’abandon de la fermeture de 14 réacteurs. Mais la PPE3 le met sous pression. Les énergies renouvelables, prioritaires sur le réseau, réduisent son taux de charge, actuellement à 70 % contre 92 % aux États-Unis : quand le vent et le soleil sont abondants, les centrales nucléaires doivent cesser de produire pour leur céder la place. « Le sous-emploi augmente mécaniquement le coût du MWh nucléaire, car les coûts fixes doivent être amortis sur une production moindre », tacle le haut-commissaire.
Ces variations de charge, prévues pour atteindre 30 GW en 2035 contre 5-15 GW aujourd’hui, compliquent la gestion du parc. « Elles imposent des contraintes techniques nouvelles », note Vincent Berger, rappelant la crise de 2022 liée à la corrosion sous contrainte, qui a coûté 29 milliards d’euros à EDF et accru la production fossile de 27 % pour compenser.
Elles mettent, surtout, la sûreté du parc nucléaire en péril, alerte dans un rapport récent l’inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection du groupe EDF, l’amiral Jean Casabianca. « L’arrivée massive des renouvelables a multiplié les variations de charge. Elles ne sont pas sans risque sur la sûreté du système électrique (dont le black-out) ni sans contrainte sur le fonctionnement de nos installations. »
Un coût colossal dans un contexte budgétaire tendu
La PPE3 engage 300 milliards d’euros d’ici à 2040 : 200 milliards pour développer les réseaux électriques (portés par RTE et par Enedis) et 100 milliards pour les subventions aux énergies renouvelables. « En ralentissant le rythme des renouvelables, on pourrait économiser 50 milliards, une somme significative au regard des besoins actuels », admet un familier du dossier, alors que l’État français cherche cette somme pour financer son nouvel effort de défense. Pourtant, le gouvernement opte pour un décret, évitant un vote parlementaire. « Des engagements de cette ampleur devraient passer par la loi de finances », se sont étranglés, le 10 mars, plusieurs sénateurs.
Les subventions aux énergies renouvelables, via la TICFE (33,70 €/MWh contre 17,16 € pour le gaz, 20 fois plus émetteur), pèsent lourdement sur le prix de l’électricité, et ralentissent (un comble !) l’électrification des usages, pourtant recherchée.
On risque de construire un système surdimensionné pour une demande qui ne suit pas.Vincent Berger
Face à ces incertitudes, Vincent Berger propose une alternative : « Réduire les objectifs de développement de l’offre si la demande se révèle moins importante que prévu », c’est-à-dire préserver la capacité de s’adapter au réel, quand la PPE3 grave dans le marbre des objectifs rigides. « On risque de construire un système surdimensionné pour une demande qui ne suit pas », prévient-il, soulignant une faiblesse structurelle du plan.
sans en modifier une ligne. Une « obstination » qui a perturbé de nombreux parlementaires – et déclenché l’opposition virulente du Rassemblement national (RN), prêt à aller au clash. En visite à l’EPR de Flamanville le 11 mars, Marine Le Pen a fustigé « une PPE dramatique qui ruine les Français, qui aggrave la politique énergétique décroissante d’Emmanuel Macron, qui étouffe la souveraineté, l’industrie et le pouvoir d’achat », promettant de s’opposer au décret, alors que la loi Énergie-Climat de 2019 impose que cette PPE soit débattue, et adoptée dans l’hémicycle.
Ira-t-elle jusqu’à poser une motion de censure contre le Premier ministre et son gouvernement ? « On ne peut pas annoncer un grand plan de réarmement et la fin de la naïveté, avec une politique énergétique qui va à rebours de ce que font les autres grandes puissances », s’agace son entourage. « La possibilité n’est donc pas écartée. »