La pale brisée de l’éolienne de Jazeneuil a été démontée

Vienne: 

Publié le 14/01/2024 à 17:43 

Il y a une éolienne de moins à Jazeneuil. Provisoirement. L’éolienne E1 du parc de Berceronne a été démontée, dans le courant du mois de novembre 2023, en toute discrétion. Cette opération était attendue depuis la cassure en deux d’une pale d’éolienne mercredi 10 mai 2023, vers 17 h. Un périmètre de sécurité avait été mis en place autour du site dans la foulée et la production des deux autres éoliennes stoppées. Et puis ? Rien.

Chute de gros éléments lors des tempêtes

> À LIRE AUSSI. Jazeneuil : la pale d’éolienne cassée en deux pèse environ 10 tonnes

Nous avions eu mille peines à vérifier les informations techniques auprès de RES group, société qui exploite le parc éolien de Berceronne, à Jazeneuil. Un communiqué de presse laconique avait simplement évoqué « un incident rare en cours d’investigation avec le constructeur de l’éolienne (Siemens, en l’occurrence) pour comprendre comment et pourquoi cela s’est produit. »

La suite, c’est Bernard Chauvet, maire de Jazeneuil qui la raconte : « L’intervention de démontage a eu lieu courant novembre 2023 mais nous n’avons pas été informés. En trois semaines, ils avaient démonté les pales et la moitié du mat. Il était temps, estime le maire. À force, cette pale brisée serait tombée. Il y avait déjà eu la chute de plusieurs gros éléments à la suite des tempêtes. »

La mairie a eu le temps de faire une photo de l’énorme grue mobile de la société Médiaco pesant 80 tonnes. Une Liebherr LTM 1650-8.1, selon nos informations, d’une capacité de levage de 700 tonnes avec une flèche de 80 ètres de hauteur.

Seule photo du matériel utilisé pour le démontage de l’éolienne, cette énorme grue mobile de 80 tonnes.
© (Photo mairie de Jazeneuil)

« Ils ont un peu mordu sur les bas côtés et défriché pour la faire rentrer sur le site, signale le maire qui attend un peu de nettoyage, et la suite. Il va falloir la remonter et je ne sais pas comment ils vont faire : il faut récréer des voies d’accès, élargir des virages. Par le bourg de Jazeneuil, il est impossible de passer. Il faudra passer par la route de Lusignan ou Rouillé. Pour le moment, tout va bien ! Nous sommes certainement le seul parc éolien de France à toucher l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) sans voir tourner les éoliennes depuis le mois de mai ! (1) »

Avec deux autres parcs, Jazeneuil comptera 7 éoliennes

Cette manne de 14.000 € par an est bienvenue pour la petite commune. À terme, elle attend même 30.000 € par an (environ un tiers du coût annuel des employés communaux) avec deux autres parcs éoliens en construction : celui de Boivre-la-Vallée (5 éoliennes de 180 m exploitées par Valorem, dont une sur le territoire de Jazeneuil d’ici à cet été) et un autre parc de trois éoliennes en direction de Sanxay exploité par Q Energy.

« Mais nous n’irons pas au-delà, prévient le maire. Avec sept éoliennes sur 32 km2, nous serons au maximum. Je suis un partisan des énergies renouvelables mais il ne faut pas qu’elles deviennent envahissantes. La solution ne viendra pas de la production d’énergie mais de la baisse de la consommation. »

> À LIRE AUSSI. Jazeneuil : le vent a retardé le montage des pales d’une éolienne

(1) L’Ifer représente environ 70.000 € de rentrées financières pour les trois éoliennes par an : 20 % sont donnés à la commune, 50 % à Grand Poitiers et 30 % au Département.

Une machine neuve qui culmine à 160 m en bout de pale

L’éolienne endommagée, une machine de type Siemens Gamesa SG 3.4-132 d’une puissance nominale de 3,47 mégawatts (MW), fabriquée en Espagne, était neuve et culmine à 160 m de hauteur en bout de pale. Son diamètre est de 132 m. Une pale mesure 66 m de longueur, pèse environ 10 tonnes et elle est composée de fibre de verre, renforcée de résine époxy ou polyester. Le parc des trois éoliennes de Jazeneuil (capable de produire de l’électricité pour plus de 12.000 habitants) est récent : les éoliennes avaient été montées entre février et mars 2022. Le parc a été inauguré en septembre 2022 avant une mise en production dans la foulée.

Publié dans Sécurité | Commentaires fermés sur La pale brisée de l’éolienne de Jazeneuil a été démontée

Noyers sur Serein (Yonne) menacé par un gigantesque projet photovoltaïque

Publié dans Solaire | Commentaires fermés sur Noyers sur Serein (Yonne) menacé par un gigantesque projet photovoltaïque

Les éoliennes émettent des infrasons qui nous tapent sur le système : vrai ou faux ?

Santé
Publié le 11/01/2024 à 08h11

Les éoliennes émettent des infrasons qui nous tapent sur le système : vrai ou faux ?

Jusqu’à récemment, on pensait que comme on ne pouvait pas entendre les infrasons, il ne pouvait y avoir d’effet sur la santé. Illustration © Pascal PROUST

  • Pour la première fois en France, des chercheurs ont engagé une étude à la fois acoustique et épidémiologique sur l’incidence du bruit des éoliennes sur la santé des riverains. Les infrasons émis par les pales ne seraient pas perceptibles par l’oreille humaine, mais les troubles d’un « syndrome des éoliennes », dénoncé par les collectifs d’opposants, a déjà été reconnu par la justice.

«Ce n’est pas un petit bruit. C’est gênant, il y a de quoi péter un boulon ! Ça nous bouche une oreille. On ressent une pression acoustique », témoigne Aurélien, un Angevin qui vit avec sa compagne, Lucie, à quelques kilomètres d’un parc éolien.
Lui est musicien, elle est professionnelle de santé et ils souffrent tous les deux depuis leur installation dans ce coin de campagne de troubles qui les ont presque convaincus de partir. Aurélien, qui dispose d’un matériel de sonorisation professionnel à domicile,  est parvenu à enregistrer ce qu’il appelle des infrabasses.

À la recherche des infrasons
Ces sons à très faibles fréquences, appelés aussi « infrasons », sont souvent cités par les militants anti-éoliens comme ayant des effets sur la santé des riverains.
Ce qui n’est pour l’heure pas validé scientifiquement. « Il y a une confusion entre les basses fréquences, dont l’intensité se situe entre 20 et 100 hertz et les infrasons qui ne sont pas perceptibles par l’oreille humaine », éclaire Justine Monnereau, juriste et chargée de communication au Centre d’information sur le bruit (Bruit.fr).
Parmi les observations de l’Anses (l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur le sujet, il y a celle qui compare le bruit des pales d’éoliennes à celui des vagues, « qui émettent des basses fréquences de même intensité. Et le bruit des vagues est rarement jugé dérangeant », reprend Justine Monnereau.

L’oreille interne déstabilisée ? 
« Jusqu’à récemment, on pensait que comme on ne pouvait pas entendre les infrasons, il ne pouvait y avoir d’effet sur la santé. Il y a eu quelques études sur les animaux qui ont montré que certaines cellules situées dans l’oreille, interne ou externe, percevaient les infrasons », ouvre Anne-Sophie Évrard, épidémiologiste à l’Université Gustave-Eiffel.
Avec son collègue David Ecotière (laboratoire d’acoustique environnementale du Cerema), cette chercheuse lyonnaise a engagé la première étude scientifique française sur le « bruit des éoliennes ».

Baptisé Ribeolh, ce programme va se pencher sur le système sensoriel cochléo-vestibulaire :  « Situé dans l’oreille interne, il contribue à la sensation de mouvement et à l’équilibre. On sait qu’il a une sensibilité particulière aux basses fréquences et aux infrasons ».



Eoliennes à Guignonville (Loiret) : À distance égale, des riverains d’éoliennes peuvent ne ressentir aucune gêne. photo Christelle Gaujard
 

Dans le Maine-et-Loire, Aurélien insiste sur la « pression sur le tympan ». « C’est comme si on plongeait à 4 mètres ».  « Ça nous réveille la nuit », ajoute Lucie.
À distance égale, des riverains d’éoliennes peuvent ne ressentir aucune gêne.

Anne-Sophie Évrard, qui a consacré de précédentes recherches à l’impact du bruit des transports sur la santé, souligne l’importance du paramètre géographique.  
« 40 décibels dans un milieu rural extrêmement calme, c’est possible que ça gène plus les gens que 50 décibels quand le bruit de fond est plus élevé ».
ANNE-SOPHIE EVRARD (Epidémiologiste. Université Gustave-Eiffle)

Cette subjectivité est prise en compte parmi « les codéterminants de la gêne ». Pour un même niveau de bruit « la nuisance va être également mieux acceptée par un habitant qui se plaît là où il vit ». Pour Justine Monnereau du Cidb : « Dans les conflits relatifs aux éoliennes, il y a la nuisance visuelle qui est souvent mêlée dans les plaintes ».

Méthodes éprouvées pour le bruit des transports
L’étude Ribeolh, qui porte sur 1.200 personnes, comprendra des examens médicaux mesurant une éventuelle hypertension ainsi que le taux de cortisol, « une hormone qui est un marqueur des états de stress », précise Anne-Sophie Évrard. L’une des hypothèses est que « des gens qui sont exposés à de forts niveaux de bruit ont du mal à réguler leur cortisol ». L’OMS a reconnu de son côté que le bruit des transports pouvait avoir un effet sur « le sommeil, sur la gêne, sur les pathologies cardiovasculaires et sur la dégradation des performances cognitives chez les enfants », récapitule la chercheuse.

L’étude consacrée aux éoliennes comprendra un volet sur la « mesure des perturbations du sommeil ». Un programme lourd qui implique la pose de capteurs dans les chambres. Le panel de l’étude globale comprendra des participants « exposés au bruit des éoliennes à différents degrés » et les chercheurs seront épaulés par des psychologues de l’environnement qui sonderont les riverains, « avec une approche moins frontale ».

« Une étude suédoise a montré que lorsque les riverains ont un intérêt pécuniaire pour les éoliennes, en louant leurs terres par exemple, il y a deux fois moins de plaintes. Il y a aussi le paramètre de l’accessibilité du projet, de la concertation en amont »
JUSTINE MONNEREAU (Centre d’information sur le bruit)

Martine, professeure retraitée, a une vue imprenable depuis son jardin sur le parc éolien des Portes de la Côte d’Or, qui était, lors de son achèvement en 2016, le plus grand de Bourgogne-Franche-Comté.
Ce chapelet de mâts n’a pas ravi les habitants de son village situé en bordure du Morvan : « On en a hérité car le maire de Beaune ne voulait pas les voir sur les coteaux viticoles », soupire Martine. Son village est longé par l’ancienne Nationale 6. Il y a ici une forme de tolérance historique au bruit de fond : « Franchement, on entend le bruit des pales dans le jardin les jours de grand vent mais ce même vent porte tous les jours le bruit des camions ».


Le « syndrome des éoliennes » reconnu par une Cour d’appel
Aurélien, le musicien angevin au tympan sous pression, est convaincu qu’il supporterait mieux d’avoir une route nationale devant sa porte : « Il y aurait du bruit mais pas cette sensation physique un peu bizarre ».
En 2021, la cour d’appel de Toulouse a reconnu qu’un couple de propriétaires d’un gîte rural d’Occitanie était victime du « syndrome des éoliennes » en prenant en compte des mesures de basses fréquences et d’infrasons : « quelque subjectifs qu’en soient les symptômes, ce syndrome traduit une souffrance existentielle, voire une détresse psychologique, c’est-à-dire une atteinte de la qualité de vie… ». 

Julien Rapegno

Publié dans Sécurité | Commentaires fermés sur Les éoliennes émettent des infrasons qui nous tapent sur le système : vrai ou faux ?

L’Allemagne, le climat et l’énergie : anatomie d’une chute

Par Cecile Maisonneuve (fondatrice de Decysive)
Publié le 11 janv. 2024 à 8:00

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lallemagne-le-climat-et-lenergie-anatomie-dune-chute-2045602

Le retour du protectionnisme et la régionalisation croissante des échanges mondiaux heurtent une industrie allemande décimée par les coûts de l’énergie. Car, pour Cécile Maisonneuve, l’Energiewende se révèle comme ce qu’il était : un village Potemkine dont le ciment était le gaz russe bon marché.

Selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles.

Selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles. (Stefan Boness/Ipon/SIPA)

L’Allemagne va mal. Les tracteurs qui bloquent Berlin, Hambourg ou Stuttgart font écho aux manifestations monstres d’agriculteurs qui ont secoué les Pays-Bas en 2022 et 2023. On connaît la fin de l’histoire : la victoire écrasante, non prévue, de Geert Wilders, le chef de l’extrême droite néerlandaise.

Au vu des sondages électoraux pour les européennes en Allemagne, l’analogie a de quoi inquiéter : l’AfD, le parti d’extrême droite, s’impose comme le deuxième parti qui réunit le plus d’intentions de vote, derrière la CDU, dans un paysage électoral inédit en Allemagne, qui voit les Verts mais surtout les socio-démocrates s’effondrer.

Dans les deux cas, l’étincelle de l’explosion sociale est liée à des mesures climatiques. L’ombre des « gilets jaunes » n’est pas loin… Depuis Tolstoï, on croyait pourtant que « toutes les familles heureuses se ressemblent ; les familles malheureuses le sont chacune à leur façon ».

Il y a cependant autre chose, de spécifiquement allemand, qui se joue dans l’Allemagne de 2023, qui relève de la fin d’un cycle, de l’épuisement d’un récit. Qu’était le « modèle allemand » qui a porté le pays depuis la réunification, sinon l’alignement idéal entre un projet politique – la reconstitution de l’unité nationale -, un projet industriel, fondé sur l’exportation, un projet énergétique, l’Energiewende, et un contrat social qui faisait porter aux ménages le poids de l’adaptation (lois Harz, financement du développement des renouvelables…), en échange des fruits de la croissance ?

Une mauvaise nouvelle pour la France

Cet alignement n’existe plus : la géographie des intentions de vote en faveur de l’extrême droite dessine quasi parfaitement l’ancienne frontière entre les deux Allemagne. Le retour du protectionnisme et la régionalisation croissante des échanges mondiaux heurtent une industrie allemande décimée par les coûts de l’énergie. Car l’Energiewende se révèle comme ce qu’il était : un village Potemkine dont le ciment était le gaz russe bon marché.

LIRE AUSSI : A Berlin, la colère des agriculteurs contre le gouvernement

Et même les chiffres qui devraient rassurer sont inquiétants : selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, chiffre tout aussi impressionnant que la baisse des émissions globales, de 10 %, entre 2022 et 2023. Mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles (verdissement des sources d’énergie, efficacité énergétique…), le reste correspondant à une chute très forte de la production industrielle ou à des délocalisations.

Les émissions de CO2 des bâtiments ou des transports stagnent quant à elles. Plus préoccupante encore, la baisse de consommation électrique : décarboner la production électrique comme le fait, trop lentement, l’Allemagne, en déployant des énergies renouvelables, est une partie du chemin, électrifier l’économie (le transport, les processus industriels, le chauffage, etc.) est le pendant de cette démarche et la méthode la plus efficace pour une décarbonation durable, et l’Allemagne ne le fait pas.

Les difficultés  allemandes  sont une mauvaise nouvelle pour la France, son principal partenaire commercial, mais aussi pour l’Europe. « L’Allemagne ne considère plus l’Union européenne comme un but mais comme un moyen pour imposer ses propres intérêts », déclarait Joschka Fischer, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de Gerhard Schröder, à la veille des élections européennes de 2009.

Cette tentation allemande existe toujours mais dispose maintenant à Bruxelles des outils pour prospérer. Dans le cadre des nouvelles règles adoptées fin 2023 pour contrer l’Inflation Reduction Act, poussées par la France, Berlin vient de se voir autoriser près d’un milliard d’euros d’aides d’Etat par la Commission pour soutenir l’implantation d’une usine de batteries du constructeur Northvolt.

Bien organisée à Bruxelles, l’Allemagne garde aussi des poches profondes. Ironie de l’histoire : elle s’est longtemps méfiée des velléités françaises de « souveraineté européenne » mais, alliée à sa souveraineté budgétaire, c’est sans doute aujourd’hui son meilleur atout pour rebondir.

Publié dans Energie, Uncategorized | Commentaires fermés sur L’Allemagne, le climat et l’énergie : anatomie d’une chute

Crise de l’énergie : « Les Allemands comprennent qu’on les a trompés ». Samuele Furfari

Haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années

par 

8 JANVIER 2024

Après vingt années d’intense lobbying en faveur du renouvelable et pour détruire le nucléaire français, l’Allemagne est finalement touchée par une crise énergétique qui prend de l’envergure. Mécontents, les Allemands se rassemblent ce 8 janvier pour protester contre l’augmentation du prix de l’énergie. Décryptage de Samuele Furfari.

Samuele Furfari est professeur en politique et géopolitique de l’énergie à l’École Supérieure de Commerce de Paris (campus de Londres), il a enseigné cette matière à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) durant 18 années. Ingénieur et docteur en Sciences appliquées (ULB), il a été haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années.

Propos recueillis par Guy-Alexandre Le Roux

Pourquoi la première puissance de l’Europe est-elle frappée par une telle crise ?

L’Allemagne a succombé à l’idéologie. Il ne faut pas oublier que les Allemands sont d’abord des pacifiques du fait de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont associé guerre et nucléaire. Les pacifistes allemands sont donc antinucléaires aussi concernant la production d’énergie. Le deuxième élément est que les soviétiques d’Allemagne de l’Est ont convaincu les Allemands de l’Ouest que le nucléaire n’était pas nécessaire. L’URSS voyait que l’occident prenait un trop grand avantage avec le développement du nucléaire, il fallait stopper cet élan. Ces causes ont convaincu l’Allemagne d’être majoritairement antinucléaire. À partir de ce moment-là, il a fallu trouver autre chose pour produire de l’électricité.

Le pays a toujours beaucoup consommé de charbon, il possède la septième réserve mondiale de charbon essentiellement sous forme de lignite. Pour le maintenir tout en prenant une ligne écologique, les Allemands ont donc souhaité développer l’énergie renouvelable. Et après tout, pourquoi pas ? C’était logique d’essayer, l’Union européenne ayant développé ces technologies depuis les chocs pétroliers des années 1970. Mais, c’est un échec, le renouvelable ne produit pas assez d’énergie et coûte très cher pour un impact minime sur la planète. La grosse partie de l’énergie éolienne en Allemagne est produite en terre. Le pays doit maintenant développer celle en mer, car les espaces sur terre sont presque saturés. Or, si les éoliennes en terre sont délicates, en mer, elles le sont encore plus. Elles tombent souvent en panne à cause des embruns. Et les coûts de maintenance et de réparations sont énormes. Plus l’Allemagne construit d’éoliennes en mer, plus l’énergie coûte cher. C’est l’une des causes de l’augmentation du prix de l’énergie. Mais aujourd’hui, le gouvernement a fait passer l’augmentation de ces prix au travers de subsides directs c’est-à-dire que ce sont les taxes des Allemands qui payent le surcoût de l’électricité renouvelable.

Devant les échecs, il faut ouvrir les yeux, mais l’Allemagne politique ne veut pas admettre qu’elle est dans un cul-de-sac, et elle s’enfonce dans la crise.

Quand a commencé cette politique du renouvelable ?

L’idée existe depuis les années 1970-1980. Ce n’est pas à cause du changement climatique que l’on a privilégié les énergies renouvelables, mais pour répondre aux chocs pétroliers. Mais c’est surtout à partir des années 2000 que les Allemands ont commencé à croire fermement au renouvelable avec une stratégie appelée EnergieWende que nous avons traduit par transition énergétique. En 2005, Mme Merkel a demandé au président de la Commission européenne de développer une feuille de route pour imposer les énergies renouvelables, pour obliger tous les pays européens de s’y mettre. J’ai personnellement travaillé sur ce dossier. L’UE avait proposé un paquet climat-énergie, avec la promotion des énergies renouvelables et la réduction des émissions de CO₂ que la France a interprété comme « nucléaire ».

L’adoption politique de la directive date de décembre 2008, sous Nicolas Sarkozy, qui a lui-même négocié cette directive. Il défendait une politique fondée sur le nucléaire alors que les Allemands misaient sur le renouvelable. Ce fut un grand marchandage. Sarkozy a été abusé, car les Allemands ont maintenu leur opposition au nucléaire. L’Allemagne a entraîné toute l’Europe dans sa voie.

Face à la crise de l’énergie, comment le gouvernement Scholz réagit-il ?

Le gouvernement est complètement coincé dans sa politique. Dans son analyse « Besoins de financement pour la production d’électricité jusqu’en 2030 », l’Institut pour l’économie de l’énergie de l’université de Cologne estime les investissements nécessaires pour l’énergie éolienne à environ 75 milliards d’euros et pour l’énergie solaire à 50 milliards d’euros. À cela s’ajoute le coût du remplacement et de la maintenance des éoliennes et des panneaux solaires existants, qui devront être remplacés au cours des prochaines années. Personnellement, je n’accorde que peu d’attention aux prévisions chiffrées, car je sais comment elles sont établies. Beaucoup plus importante est l’affirmation des auteurs selon laquelle il ne faut pas s’attendre à ce que ces nouvelles centrales puissent financer leurs coûts d’investissement sur le marché de l’électricité. Ils ne le disent pas, mais c’est parce que le prix de l’électricité en Allemagne est déjà trop élevé par rapport au reste de l’UE. Le gouvernement va accorder des subventions, c’est-à-dire qu’il va taxer !

Une taxe sur le CO₂ de 30 € la tonne existait déjà, à partir de début janvier, elle passe à 45 €. Pour les familles, cela fait une augmentation de 100 € par an, ce qui est peu, mais à l’échelle d’un pays c’est beaucoup.

Si c’est généralement surmontable pour un foyer, tout l’enjeu est à l’échelle macroéconomique. Multiplié par plusieurs dizaines de millions de foyers et d’entreprises, l’impact représente un poids énorme pour l’économie du pays. On annonce des chiffres qui concernent les particuliers, omettant toujours de parler des coûts pour l’ensemble du pays. Le pire, c’est que tout cela est inutile. Si, en payant un peu plus leur énergie, les Allemands avaient un impact sur le climat, cela pourrait avoir un sens. Mais, le résultat est dérisoire, et les gens commencent à le comprendre qu’on les a trompés. Depuis que l’Allemagne s’est lancée dans l’EnergieWende, les émissions mondiales de CO₂ ont augmenté de 61 %. C’est grâce à cette prise de conscience que 2023 est un tournant, un vrai pas comme le Wende de l’énergie. Quand on se rend compte que les belles paroles n’ont aucun effet réel sur planète, et qu’elles rendent la vie plus dure, les gens finissent par bouger.

Les fermiers ont dernièrement exprimé leur mécontentement. Le gouvernement allemand, dans son budget 2024, avait décidé d’augmenter les taxes sur le carburant des agriculteurs. Ces derniers se sont rassemblés dans de grandes manifestations (7 000 tracteurs à Berlin), car la conséquence sur leur portefeuille est très importante. Le gouvernement a eu peur et vient d’annoncer qu’il renonce à une des mesures décidées :  « Contrairement à ce qui était prévu, l’avantage fiscal sur les véhicules pour la sylviculture et l’agriculture est maintenu« , indique un communiqué de presse du gouvernement.

À lire également

Comment l’Allemagne finance l’affaiblissement du nucléaire français. Entretien avec le CI2S

Mais les agriculteurs ne décolèrent pas et veulent l’abandon de toutes les mesures décidées à leur encontre. Le 8 janvier, une manifestation d’envergure contre le prix de l’énergie aura lieu en Allemagne, et une grosse partie de la classe ouvrière compte s’y joindre, ce qui va embêter le chancelier Scholz dont le parti SPD est proche des syndicats. Et une autre est annoncée pour le 15 janvier.

Le gouvernement est en grande difficulté, car le 15 novembre 2023, la Cour constitutionnelle a annulé le « fonds de transition énergétique » de 60 milliards d’euros, destiné à subventionner les énergies renouvelables. Berlin devra trouver cette somme supplémentaire, tout en respectant l’obligation de « frein à l’endettement » inscrite dans la Constitution.

Allons-nous observer une tension sur l’approvisionnement électrique sur les foyers ?

Non. Il n’y aura pas de black-out, car les centrales à charbon existantes feront l’appoint de l’intermittence et variabilité des éoliennes et panneaux solaires. L’autorité de gestion des réseaux (BNetzA) vient de demander à ces centrales de ne pas prévoir de démantèlement avant 2031. L’Allemagne a trop besoin d’elles.

La seule tension sur les foyers allemands sera sur le porte-monnaie, mais répétons-le, surtout au niveau macroéconomie.

Quel sera l’impact de la crise énergétique sur l’industrie allemande ?

L’industrie allemande, surtout l’industrie chimique, a bénéficié durant des années d’un prix de l’énergie relativement bas grâce au gaz russe fourni par Gazprom. N’oublions pas que les hydrocarbures ne sont pas uniquement une source d’énergie, mais également la matière première de l’industrie chimique, industrie si importante en Allemagne. Les hauts salaires allemands étaient compensés par le bas prix du gaz. Ce gaz n’étant plus disponible, l’avantage a été perdu. Il en découle une crise économique d’envergure. L’industrie chimique allemande est la plus touchée et s’organise pour délocaliser. Le gouvernement allemand a finalement choisi de réagir et vient de signer un accord d’approvisionnement en gaz avec la Norvège pour 50 milliards d’euros. C’est une entreprise allemande d’État, la SEFE (ex-Gazprom Allemagne nationalisée), qui a passé le marché parce que l’Allemagne a besoin de stabilité. Les Allemands commencent donc à comprendre que le pays a besoin de gaz et de charbon pour fonctionner, et que le tout renouvelable qu’ils financent abondamment est une utopie. On leur a menti en disant que tout allait être renouvelable, propre et bon marché, mais à présent le gouvernement court comme une poule sans tête pour trouver du gaz là où il peut, quel que soit le prix. Les Allemands ont compris.

Si les entreprises commencent à délocaliser à cause du prix de l’énergie, le taux de chômage va bondir, et le mécontentement sera encore plus fort. Comme toujours en économie, tout se tient.

Et concernant l’industrie automobile ?

Je ne sais trop quoi en penser tellement c’est invraisemblable. L’industrie automobile est le fleuron du savoir-faire allemand, à la pointe de l’innovation technologique. Ils veulent aussi dans ce domaine miser sur l’EnergieWende, sur le tout-électrique. Non seulement ils perdent leur savoir-faire, mais en plus, ils ne disposent pas de l’électricité nécessaire et bon marché puisque les tensions sur l’approvisionnement électrique sont patentes. Mais en plus, les écologistes n’aiment pas la voiture électrique, car c’est une… voiture. Sur une erreur énergétique, l’Allemagne saborde son fleuron industriel pour tomber dans les mains des Chinois qui ont le quasi-monopole sur la production de batteries on vient d’apprendre qu’en 2023 dans l’Union européenne on a vendu plus de voitures chinoises que japonaises. De plus, comme on l’a vu, leur électricité n’est pas neutre en carbone puisqu’ils ont arrêté leurs centrales nucléaires pour les remplacer par des centrales au gaz sans arrêter celle au charbon.

Confrontée à la crise de l’énergie et alors que l’UE reconnaît finalement le nucléaire comme une énergie verte, pensez-vous que l’Allemagne va changer de direction ?

Tout dépend des changements politiques. Le gouvernement actuel d’Olaf Scholz est très peu populaire et chaotique. Cohabitent au pouvoir des écologistes avec des libéraux purs. Les verts veulent supprimer les centrales à charbon, mais le SPD, proche des syndicats, défend leur maintien. Le FDP qui était dans le temps imparti libéral n’aime pas les taxes et pourtant pour s’embarquer avec les écologistes ils acceptent de plus en plus de taxes. Ces électeurs historiques vont tenir compte lors des prochaines élections.

Il reste deux ans d’exercice du pouvoir, et pendant ce temps l’opposition s’organise. Le parti de Merkel s’ouvre au nucléaire, et le parti de droite qui prend de l’ampleur (AFD) est anti-renouvelable. Les choses vont très probablement changer, dans deux ans. On devrait déjà observer un changement significatif lors des élections européennes du 9 juin prochain. Dans tous les cas, on ne voit pas la coalition actuelle, si peu aimée, se saborder pour aller aux élections, car les partis qui la composent perdraient immanquablement.

La France n’a jamais pu s’imposer sur la question de l’énergie nucléaire en Europe ?

L’Allemagne a dicté la politique du renouvelable. En 2023, il y a eu une réaction forte contre cette politique. On est allé tellement loin dans la haine du nucléaire qu’il était nécessaire de réagir à l’opposition des antinucléaires de Bruxelles-Strasbourg et Berlin. Cette situation délétère a pu être rattrapée in extremis par l’action de la France et de la Pologne avec l’affirmation dans le cadre de la taxonomie que le nucléaire est une énergie verte.

Mais à Bruxelles-Strasbourg le poids antinucléaire est toujours très important et l’Allemagne dirige toujours l’Europe. Sur les 705 députés européens, l’Allemagne en compte 96 soit 3,7 fois plus que la moyenne par État membre.

Quelles est la carte des partis pour en contre le l’énergie nucléaire en Europe ?

Les chefs de file des pro-nucléaires sont la France et la Pologne, suivis par la Bulgarie, la Hongrie, la Finlande, la Tchéquie, la Croatie. La Suède vient de retourner en force dans ce camp. Les Pays-Bas avaient décidé de miser sur l’énergie renouvelable, mais ils reviennent aussi au nucléaire. Même chose pour l’Italie, qui avait été très antinucléaire pendant 30 ans.

L’autre partie de l’Europe — l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et le Luxembourg — y est opposée.

Il faut savoir que le traité de Lisbonne, dans son article 194, donne la liberté aux États membres de choisir leur énergie. Bruxelles-Strasbourg ne peut pas interdire le nucléaire. Mais dans les faits, en limitant les financements et en donnant une priorité absolue au renouvelable, l’UE a saboté le nucléaire ces quatre dernières années. Pourtant, le traité Euratom — qui est toujours bien en vigueur — précise que l’union a pour mission de contribuer au développement rapide de l’industrie nucléaire afin de contribuer « à l’élévation du niveau de vie » dans les états membres.

La question de l’énergie en Europe se joue-t-elle au niveau de l’Union européenne ?

L’Union européenne est née de l’énergie, du traité CECA et du traité Euratom. Depuis 60 ans, l’objectif est de disposer d’une énergie « abondante et bon marché », comme l’a décidé la réunion de Messine en juin 1955. Depuis le traité de Lisbonne, l’énergie est une compétence partagée entre les États membres et l’Union, mais comme nous l’avons dit, les États membres sont libres de choisir les énergies qu’ils utilisent. La politique de réduction des émissions de CO₂ a bouleversé cette prérogative fondamentale des traités. Il est surprenant qu’aucun État membre ne remette en cause l’abandon de la souveraineté énergétique, pourtant prévue par le traité de Lisbonne. Il est clair que, grâce aux écologistes de tous bords à Bruxelles-Strasbourg, la lutte contre le changement climatique est plus importante que la souveraineté nationale et la sécurité de l’approvisionnement énergétique, qui sont des éléments fondamentaux du traité de Lisbonne. Le rôle de l’Allemagne, porte-drapeau de l’UE, a été déterminant ces dernières années dans la non-application des traités européens, mais cela s’est fait avec la complicité des États membres. Il est facile de critiquer l’un ou l’autre, mais c’est finalement le Conseil européen qui est le dernier responsable, car tous les pays ont succombé à l’idéologie allemande. Il est clair que la politique énergétique européenne est aujourd’hui idéologique, ayant abandonné la rationalité qu’elle avait pendant les 60 premières années de son existence. C’est ce que je démontre dans mon livre Energy insecurity : The organised destruction of the EU’s competitiveness.

À lire également

3e Assises de la géopolitique : « Énergies et sécurité »

Les élections européennes du 9 juin seront cruciales. Si l’on en croit les sondages, les écologistes allemands perdront beaucoup de sièges, mais ils risquent aussi d’en perdre en Belgique, en France et ailleurs. Une nouvelle majorité à Strasbourg pourrait bien être obtenue cette fois-ci sans les écologistes. Cela remettrait en question toute la politique énergétique suivie par l’actuelle Commission européenne, une politique verte allemande.

La COP28, même si elle a été voulue et menée par des activistes verts, a également contribué à renverser la situation. À Dubaï, les militants écologistes voulaient une décision d’abandon des combustibles fossiles, et ils ont obtenu le contraire, même si les conclusions stipulent que les énergies renouvelables doivent être développées. Afin d’assurer l’indispensable sécurité de l’approvisionnement énergétique — bien plus importante que la réduction des émissions mondiales de CO₂ — la COP28 reconnaît dans son point 29 que chaque pays est libre de choisir sa transition et les énergies qu’il décide lui-même d’utiliser. Cela peut être, par exemple, la transition du bois vers le charbon (voir mon analyse dans Factuel). Les pays en voie de développement — l’Afrique dans son ensemble, mais aussi la Chine et l’Inde — continueront à utiliser les énergies fossiles, car ils ont compris que les énergies renouvelables que l’Allemagne promeut sont chères et n’ont pas d’impact sur les émissions globales de CO₂. Les médias n’ont pas vu, ou n’ont pas voulu voir, la couleuvre que la COP28 de Dubaï a fait avaler à l’Allemagne, à l’UE et aux écologistes de tous les partis. La réalité de la souveraineté énergétique a tout simplement renversé la situation, et les énergies renouvelables ne convainquent personne dans le monde.

Quel équilibre faut-il trouver selon vous ?

Il faut commencer par mettre fin au manichéisme, au tout-renouvelable ou même simplement à la priorité donnée aux énergies renouvelables et à l’interdiction du nucléaire ; tout cela est contraire au traité de Lisbonne ! Ensuite, il faut admettre que les éoliennes ne peuvent pas s’autoreproduire : on ne peut pas utiliser les énergies renouvelables pour produire la multitude de matériaux nécessaires à leur déploiement, et plus généralement pour produire tous les matériaux dont nous avons besoin pour vivre. On ne peut pas fabriquer du ciment, du verre, des voitures, des tracteurs, des porte-conteneurs ou des smartphones avec de l’énergie éolienne ou solaire. De plus, malgré son caractère indispensable pour fournir toute l’électricité dont le monde aura besoin, l’énergie nucléaire ne sert qu’à produire de l’électricité, qui ne représente que 22 % de la consommation finale d’énergie dans l’Union. Le reste de l’énergie est thermique et sert à chauffer les habitations, à alimenter les véhicules terrestres, maritimes et aériens, à produire des matériaux, à faire fonctionner les usines, à produire notre alimentation, etc. Il ne faut donc pas oublier les énergies fossiles, qui représentent 84 % de l’énergie mondiale, comme l’Europe tente de le faire depuis quelques années.

C’est ce qui a été décidé à la COP28, au grand dam des écologistes allemands. La rationalité nous conduit à ne pas oublier les flammes. C’est l’erreur qu’a commise l’Allemagne, qui devrait se ressaisir rapidement. Dès juin 2023, l’Union européenne a intérêt à s’affranchir de cette tutelle énergétique allemande si elle désire encore avoir un rôle de niveau mondial.

Publié dans Energie | Commentaires fermés sur Crise de l’énergie : « Les Allemands comprennent qu’on les a trompés ». Samuele Furfari