L’Allemagne, le climat et l’énergie : anatomie d’une chute

Par Cecile Maisonneuve (fondatrice de Decysive)
Publié le 11 janv. 2024 à 8:00

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lallemagne-le-climat-et-lenergie-anatomie-dune-chute-2045602

Le retour du protectionnisme et la régionalisation croissante des échanges mondiaux heurtent une industrie allemande décimée par les coûts de l’énergie. Car, pour Cécile Maisonneuve, l’Energiewende se révèle comme ce qu’il était : un village Potemkine dont le ciment était le gaz russe bon marché.

Selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles.

Selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles. (Stefan Boness/Ipon/SIPA)

L’Allemagne va mal. Les tracteurs qui bloquent Berlin, Hambourg ou Stuttgart font écho aux manifestations monstres d’agriculteurs qui ont secoué les Pays-Bas en 2022 et 2023. On connaît la fin de l’histoire : la victoire écrasante, non prévue, de Geert Wilders, le chef de l’extrême droite néerlandaise.

Au vu des sondages électoraux pour les européennes en Allemagne, l’analogie a de quoi inquiéter : l’AfD, le parti d’extrême droite, s’impose comme le deuxième parti qui réunit le plus d’intentions de vote, derrière la CDU, dans un paysage électoral inédit en Allemagne, qui voit les Verts mais surtout les socio-démocrates s’effondrer.

Dans les deux cas, l’étincelle de l’explosion sociale est liée à des mesures climatiques. L’ombre des « gilets jaunes » n’est pas loin… Depuis Tolstoï, on croyait pourtant que « toutes les familles heureuses se ressemblent ; les familles malheureuses le sont chacune à leur façon ».

Il y a cependant autre chose, de spécifiquement allemand, qui se joue dans l’Allemagne de 2023, qui relève de la fin d’un cycle, de l’épuisement d’un récit. Qu’était le « modèle allemand » qui a porté le pays depuis la réunification, sinon l’alignement idéal entre un projet politique – la reconstitution de l’unité nationale -, un projet industriel, fondé sur l’exportation, un projet énergétique, l’Energiewende, et un contrat social qui faisait porter aux ménages le poids de l’adaptation (lois Harz, financement du développement des renouvelables…), en échange des fruits de la croissance ?

Une mauvaise nouvelle pour la France

Cet alignement n’existe plus : la géographie des intentions de vote en faveur de l’extrême droite dessine quasi parfaitement l’ancienne frontière entre les deux Allemagne. Le retour du protectionnisme et la régionalisation croissante des échanges mondiaux heurtent une industrie allemande décimée par les coûts de l’énergie. Car l’Energiewende se révèle comme ce qu’il était : un village Potemkine dont le ciment était le gaz russe bon marché.

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Et même les chiffres qui devraient rassurer sont inquiétants : selon Agora Energiewende, les émissions de CO2 de l’industrie ont baissé de 20 %, chiffre tout aussi impressionnant que la baisse des émissions globales, de 10 %, entre 2022 et 2023. Mais seulement 15 % d’entre elles sont structurelles (verdissement des sources d’énergie, efficacité énergétique…), le reste correspondant à une chute très forte de la production industrielle ou à des délocalisations.

Les émissions de CO2 des bâtiments ou des transports stagnent quant à elles. Plus préoccupante encore, la baisse de consommation électrique : décarboner la production électrique comme le fait, trop lentement, l’Allemagne, en déployant des énergies renouvelables, est une partie du chemin, électrifier l’économie (le transport, les processus industriels, le chauffage, etc.) est le pendant de cette démarche et la méthode la plus efficace pour une décarbonation durable, et l’Allemagne ne le fait pas.

Les difficultés  allemandes  sont une mauvaise nouvelle pour la France, son principal partenaire commercial, mais aussi pour l’Europe. « L’Allemagne ne considère plus l’Union européenne comme un but mais comme un moyen pour imposer ses propres intérêts », déclarait Joschka Fischer, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères de Gerhard Schröder, à la veille des élections européennes de 2009.

Cette tentation allemande existe toujours mais dispose maintenant à Bruxelles des outils pour prospérer. Dans le cadre des nouvelles règles adoptées fin 2023 pour contrer l’Inflation Reduction Act, poussées par la France, Berlin vient de se voir autoriser près d’un milliard d’euros d’aides d’Etat par la Commission pour soutenir l’implantation d’une usine de batteries du constructeur Northvolt.

Bien organisée à Bruxelles, l’Allemagne garde aussi des poches profondes. Ironie de l’histoire : elle s’est longtemps méfiée des velléités françaises de « souveraineté européenne » mais, alliée à sa souveraineté budgétaire, c’est sans doute aujourd’hui son meilleur atout pour rebondir.

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