Les éoliennes émettent des infrasons qui nous tapent sur le système : vrai ou faux ?

Santé
Publié le 11/01/2024 à 08h11

Les éoliennes émettent des infrasons qui nous tapent sur le système : vrai ou faux ?

Jusqu’à récemment, on pensait que comme on ne pouvait pas entendre les infrasons, il ne pouvait y avoir d’effet sur la santé. Illustration © Pascal PROUST

  • Pour la première fois en France, des chercheurs ont engagé une étude à la fois acoustique et épidémiologique sur l’incidence du bruit des éoliennes sur la santé des riverains. Les infrasons émis par les pales ne seraient pas perceptibles par l’oreille humaine, mais les troubles d’un « syndrome des éoliennes », dénoncé par les collectifs d’opposants, a déjà été reconnu par la justice.

«Ce n’est pas un petit bruit. C’est gênant, il y a de quoi péter un boulon ! Ça nous bouche une oreille. On ressent une pression acoustique », témoigne Aurélien, un Angevin qui vit avec sa compagne, Lucie, à quelques kilomètres d’un parc éolien.
Lui est musicien, elle est professionnelle de santé et ils souffrent tous les deux depuis leur installation dans ce coin de campagne de troubles qui les ont presque convaincus de partir. Aurélien, qui dispose d’un matériel de sonorisation professionnel à domicile,  est parvenu à enregistrer ce qu’il appelle des infrabasses.

À la recherche des infrasons
Ces sons à très faibles fréquences, appelés aussi « infrasons », sont souvent cités par les militants anti-éoliens comme ayant des effets sur la santé des riverains.
Ce qui n’est pour l’heure pas validé scientifiquement. « Il y a une confusion entre les basses fréquences, dont l’intensité se situe entre 20 et 100 hertz et les infrasons qui ne sont pas perceptibles par l’oreille humaine », éclaire Justine Monnereau, juriste et chargée de communication au Centre d’information sur le bruit (Bruit.fr).
Parmi les observations de l’Anses (l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur le sujet, il y a celle qui compare le bruit des pales d’éoliennes à celui des vagues, « qui émettent des basses fréquences de même intensité. Et le bruit des vagues est rarement jugé dérangeant », reprend Justine Monnereau.

L’oreille interne déstabilisée ? 
« Jusqu’à récemment, on pensait que comme on ne pouvait pas entendre les infrasons, il ne pouvait y avoir d’effet sur la santé. Il y a eu quelques études sur les animaux qui ont montré que certaines cellules situées dans l’oreille, interne ou externe, percevaient les infrasons », ouvre Anne-Sophie Évrard, épidémiologiste à l’Université Gustave-Eiffel.
Avec son collègue David Ecotière (laboratoire d’acoustique environnementale du Cerema), cette chercheuse lyonnaise a engagé la première étude scientifique française sur le « bruit des éoliennes ».

Baptisé Ribeolh, ce programme va se pencher sur le système sensoriel cochléo-vestibulaire :  « Situé dans l’oreille interne, il contribue à la sensation de mouvement et à l’équilibre. On sait qu’il a une sensibilité particulière aux basses fréquences et aux infrasons ».



Eoliennes à Guignonville (Loiret) : À distance égale, des riverains d’éoliennes peuvent ne ressentir aucune gêne. photo Christelle Gaujard
 

Dans le Maine-et-Loire, Aurélien insiste sur la « pression sur le tympan ». « C’est comme si on plongeait à 4 mètres ».  « Ça nous réveille la nuit », ajoute Lucie.
À distance égale, des riverains d’éoliennes peuvent ne ressentir aucune gêne.

Anne-Sophie Évrard, qui a consacré de précédentes recherches à l’impact du bruit des transports sur la santé, souligne l’importance du paramètre géographique.  
« 40 décibels dans un milieu rural extrêmement calme, c’est possible que ça gène plus les gens que 50 décibels quand le bruit de fond est plus élevé ».
ANNE-SOPHIE EVRARD (Epidémiologiste. Université Gustave-Eiffle)

Cette subjectivité est prise en compte parmi « les codéterminants de la gêne ». Pour un même niveau de bruit « la nuisance va être également mieux acceptée par un habitant qui se plaît là où il vit ». Pour Justine Monnereau du Cidb : « Dans les conflits relatifs aux éoliennes, il y a la nuisance visuelle qui est souvent mêlée dans les plaintes ».

Méthodes éprouvées pour le bruit des transports
L’étude Ribeolh, qui porte sur 1.200 personnes, comprendra des examens médicaux mesurant une éventuelle hypertension ainsi que le taux de cortisol, « une hormone qui est un marqueur des états de stress », précise Anne-Sophie Évrard. L’une des hypothèses est que « des gens qui sont exposés à de forts niveaux de bruit ont du mal à réguler leur cortisol ». L’OMS a reconnu de son côté que le bruit des transports pouvait avoir un effet sur « le sommeil, sur la gêne, sur les pathologies cardiovasculaires et sur la dégradation des performances cognitives chez les enfants », récapitule la chercheuse.

L’étude consacrée aux éoliennes comprendra un volet sur la « mesure des perturbations du sommeil ». Un programme lourd qui implique la pose de capteurs dans les chambres. Le panel de l’étude globale comprendra des participants « exposés au bruit des éoliennes à différents degrés » et les chercheurs seront épaulés par des psychologues de l’environnement qui sonderont les riverains, « avec une approche moins frontale ».

« Une étude suédoise a montré que lorsque les riverains ont un intérêt pécuniaire pour les éoliennes, en louant leurs terres par exemple, il y a deux fois moins de plaintes. Il y a aussi le paramètre de l’accessibilité du projet, de la concertation en amont »
JUSTINE MONNEREAU (Centre d’information sur le bruit)

Martine, professeure retraitée, a une vue imprenable depuis son jardin sur le parc éolien des Portes de la Côte d’Or, qui était, lors de son achèvement en 2016, le plus grand de Bourgogne-Franche-Comté.
Ce chapelet de mâts n’a pas ravi les habitants de son village situé en bordure du Morvan : « On en a hérité car le maire de Beaune ne voulait pas les voir sur les coteaux viticoles », soupire Martine. Son village est longé par l’ancienne Nationale 6. Il y a ici une forme de tolérance historique au bruit de fond : « Franchement, on entend le bruit des pales dans le jardin les jours de grand vent mais ce même vent porte tous les jours le bruit des camions ».


Le « syndrome des éoliennes » reconnu par une Cour d’appel
Aurélien, le musicien angevin au tympan sous pression, est convaincu qu’il supporterait mieux d’avoir une route nationale devant sa porte : « Il y aurait du bruit mais pas cette sensation physique un peu bizarre ».
En 2021, la cour d’appel de Toulouse a reconnu qu’un couple de propriétaires d’un gîte rural d’Occitanie était victime du « syndrome des éoliennes » en prenant en compte des mesures de basses fréquences et d’infrasons : « quelque subjectifs qu’en soient les symptômes, ce syndrome traduit une souffrance existentielle, voire une détresse psychologique, c’est-à-dire une atteinte de la qualité de vie… ». 

Julien Rapegno

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