Consultation publique sur le projet de Stratégie française pour l’énergie et le climat

publié le 21 novembre 2023

La Fédération de l’Environnement Durable répond ici à l’invitation de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui soumet à consultation publique la Stratégie française pour l’Energie et le Climat, document préparatoire à une Loi sur la Production d’Energie qui sera débattue début 2024 et à un décret de programmation pluriannuelle de l’énergie pour les dix prochaines années (2024-2035), dit PPE3. 

Défis et hypothèses         

Considérant l’ensemble du secteur énergétique, le document vise à répondre à trois défis : réduire de 40 à 50% la consommation totale d’énergie par rapport à 2021, sortir de la dépendance aux énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone en 2050, augmenter la production d’électricité de 10% en 2030 et de 55% en 2050 tout en doublant la production de chaleur bas carbone d’ici 2035 (base 2021).

Si les énergies renouvelables non électriques sont désormais prises en compte pour décarboner des usages principalement industriels, tout comme la valorisation du vecteur chaleur, ce que la FED applaudit, la place donnée à l’électricité reste évidemment prépondérante.

La stratégie décrite s’appuie sur les scénarios du RTE[1], issus du document « Futurs Energétiques 2050 » de 2019 et mis à jour dans le « Bilan prévisionnel RTE, édition 2023 ». Elle repose sur des hypothèses constantes d’accroissement drastique de la demande d’électricité (au-delà de 600 TWh en 2035, pour 450 en 2020), mises au compte de transferts massifs d’usages vers l’électricité.

Autant d’éoliennes pour quoi faire ?

Les prévisions des capacités de production visées en 2035 (doublement du parc éolien terrestre passant de 21 à 40/45 GW, explosion de l’éolien en mer (de 0,5 à 18 GW), comme du photovoltaïque (de 16 =75/100 GW) s’appuient maintenant sur cette seule approche, celle de faire face à l’accroissement de la demande. L’argument jusque-là avancé, celui de la nécessité de décarbonation du parc de production français, a disparu comme par enchantement.

Ce tour de passe-passe suggère deux remarques à la FED :

  • Dès 2020, le RTE avait implicitement reconnu que les éoliennes alors en service (toutes terrestres) suffisaient à décarboner complétement le parc de production électrique français (voir note[2]). 23% seulement de la production d’énergie renouvelable intermittente ENRi (éolien + solaire) avait servi à se substituer au thermique français lorsque cela était possible ; le reste (77%) était dirigé ailleurs sur le réseau Très Haute Tension interconnecté, vers les pays voisins où beaucoup de moyens de production fossiles restaient à décarboner. La situation n’a pas changé depuis lors, le parc thermique carboné a peu évolué (en plus le CCGT de Landivisiau, en moins l’essentiel du parc charbon qui devrait sortir définitivement d’exploitation fin 2024). Depuis lors tout l’éolien mis en service, en particulier tout l’éolien offshore, l’a été à d’autres fins que la décarbonation en France (au premier chef l’exportation pour décarbonation de pays voisins – principalement l’Allemagne – mais aussi une substitution absurde à de la production nucléaire).
  • Analysons le mécanisme auquel conduit la persistance de vouloir continuer à augmenter les capacités éoliennes, terrestres ou marines. Arrive un moment où les capacités installées sont telles dans les différents pays interconnectés de l’UE qu’en périodes ventées (en générale simultanées), il n’y a plus de groupes thermiques nouveaux à arrêter. Le marché traduit cette saturation momentanée par un signal de prix négatifs. Pour la France, cette exportation fatale à bas prix vers l’Est ne présente pas d’intérêt commercial alors que subventions et nuisances sont à sa charge, le pays receveur y trouvant au contraire l’intérêt de parfaire la nécessaire décarbonation de ses parcs thermiques et de faire de substantielles économies de combustibles. Si les derniers contrats éoliens permettent à leurs opérateurs de déconnecter occasionnellement leurs machines en cas de surproduction, la tendance naturelle en France sera plutôt d’effacer partiellement la production nucléaire. C’est la situation que nous commençons de vivre, particulièrement absurde puisqu’elle conduit à remplacer une production décarbonée (le nucléaire) par une autre (l’éolien), altérant au passage l’économie et l’intégrité technique de la filière, peu apte à faire varier rapidement sa charge.
  • Oublier ces mécanismes en prétendant faire appel à de nouveaux investissements éoliens (ou PV) pour faire face à l’accroissement de la demande est peu crédible car ces énergies ne sont pas garanties : absence de vent ou de soleil et c’est la crise, délestages ou black-out, en tout cas incapacité d’alimenter les nouveaux usages transférés. Le document de présentation de la Stratégie pour l’Energie et le Climat escamote cette problématique, qui est en réalité celle des caractères aléatoires et intermittents des ENRi et de la façon de les traiter. Le caractère tout théorique (et non industriel) de l’exercice conduit ainsi à « oublier », en particulier dans le scénario central, tout moyen de production pilotable thermique, utilisable pour la modulation de puissance ou le back-up de l’éolien, ce à quoi servent justement les CCGT. L’hypothèse sous-jacente d’une possibilité de piloter le système par une utilisation massive de flexibilités de la demande se heurte au caractère théorique ou expérimental de nombre de ces dispositifs et à l’acceptation sociale douteuse de beaucoup d’autres.

En conclusion, l’accroissement des capacités éoliennes installées en France et la réglementation qui s’y applique induisent une logique imparable : compléter la décarbonation des sites thermiques étrangers voisins à leur plus grand profit, en utilisant les capacités de transit Ouest -> Est du réseau interconnecté Européen ; mais aussi devoir exploiter de façon dé-optimisée le parc de production nucléaire.

Ces considérations suffisent en tout cas à retirer aux projets éoliens le bénéfice de la Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur.

Une méthodologie plus volontariste que scientifique critique

Nous estimons ainsi que les raisonnements explicatifs de la Stratégie pour l’Energie et le Climat concernant l’électricité privilégient trop (quasi-uniquement) le facteur « énergie », faisant l’impasse sur la considération de la « puissance », qu’elle soit garantie ou non. Cela semble être à l’origine des dérives constatées de l’analyse.

Plutôt que de prendre comme paramètres d’entrée des hypothèses peu raisonnables et non démontrables de croissance de la demande, un chemin de sagesse devrait être de chiffrer le coût des différentes options, d’adapter le rythme de l’électrification des usages à la croissance envisageable de la production électrique pilotable, la plus économique et la moins subventionnée possible, et non l’inverse.

Parallèlement et pour explorer les alternatives à l’électrification, comme le RTE, opérateur du système électrique, a été chargé de l’élaboration des « futurs énergétiques 2050 », on s’étonne que les scenarios de décarbonation hors électricité ne s’appuient pas davantage sur les professions de la chaleur, les industries ou les collectivités concernées.

Nota – Certaines solutions électriques doivent d’ailleurs être considérées avec prudence ; la production de chaleur et d’hydrogène par l’électricité présente les plus mauvais rendements, les hypothèses volontaristes de Véhicules Electriques et de data centers sont sans doute précipitées et peu réalistes ; à l’opposée, le chauffage électrique, tant développé il y a des décennies pour soutenir le nucléaire, peut aussi se révéler aujourd’hui déplacé face à d’autres sources (réseaux de chaleur décarbonée collective, géothermie, pompe à chaleur)…

Second point crucial de méthodologie, le document n’aborde pas les principes économiques qui sous-tendent les stratégies proposées, qui ont pourtant inévitablement des conséquences sur l’intérêt commun des consommateurs et contribuables (value for money). On peut supposer qu’un tel travail a comporté une étude d’optimisation technico-économique des alternatives (« Least Cost Study »), dont les résultatsdevraient justifier le choix massif de l’option des ENRi. Ces résultats sont pourtant absents des documents de la Consultation. Dans un schéma classique de socialisation des coûts, l’option privilégiée des ENRi apparaît comme excessivement coûteuse pour le consommateur et le contribuable (coûts directs, coûts indirects, dont le doublonnage de larges pans du système de production, coûts induits non intégrés à l’étape de la « Least Cost Study », dont les coûts liés à l’intermittence, à la restructuration et aux renforcements du réseau électrique). Une projection des prix prévisibles de l’électricité serait nécessaire.

Un grand absent, l’environnement

Cette stratégie a été mise en œuvre au nom de la décarbonation de l’économie. A aucun moment elle ne s’attache à vérifier que les solutions proposées ne sont pas contradictoires avec d’autres impératifs complémentaires à ceux du climat, en particulier la préservation de l’environnement et de la biodiversité. On a déjà beaucoup dénoncé la pratique des enquêtes publiques locales où les préoccupations environnementales sont escamotées, ou repoussées après la prise de décision.  On attendait du document stratégique national qu’y soient évoqués les préjudices environnementaux majeurs, que des limites soient fixées (densités admissibles des ENRi sur les territoires en fonction des présences humaines ou animales, impacts à éviter sur les activités économique, pressions tolérables sur les marchés amont, limites apportées aux effets climatiques et aux nuisances sonores). Force est de constater qu’il n’en est rien.

Conclusion

L’industrialisation en cours des campagnes et du littoral marin, la privatisation de fait de ces espaces encore largement indemnes des avancées de l’industrie ne peuvent laisser les citoyens indifférents. Les libertés que la France a prises avec les traités internationaux en matière de démocratie environnementale, en restant à distance de la convention d’Aarhus, ne peuvent que les rendre d’autant plus sourcilleux.

La FED rejette l’objectif de toute implantation d’éolien supplémentaire et a fortiori toute accélération dans le projet de stratégie en cours d’élaboration. La teneur du projet soumis à consultation, comme la Loi en préparation et la future programmation pluriannuelle de l’énergie imposent à nos organisations affiliées de rester en état d’alerte et de faire entendre leur voix à chaque occasion.

Pour reprendre l’image qui se veut mobilisatrice de la Ministre Agnès Pannier-Runacher « La transformation à engager dans les trois prochaines décennies est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »,  la FED craint surtout que cette « révolution » laisse derrière elle un ravage des territoires et soit imposée aux citoyens, pour un bénéfice qui est loin d’être démontré…


[1] Réseau de Transport d’Electricité, société anonyme à gestion indépendante d’EDF (capital EDF 50,1%, Caisse des Dépôts 29,9%), CNP Assurances 20%).

[2] RTE – Précisions sur les bilans CO2 établis dans le bilan prévisionnel et les études associés – Bilan prévisionnel 2019

https://www.concerte.fr/system/files/concertation/Note%20Bilans%20CO2%20V3.pdf
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