L’énergie sous la tutelle de Bercy et plus sous celle de l’écologie : le vrai changement politique majeur du gouvernement Attal

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 avec Fabien Bouglé

Le remaniement vient de ramener l’énergie sous la tutelle de Bercy plutôt que sous celle du
ministère de l’écologie.
Avec Fabien Bouglé
Atlantico : Le remaniement vient de ramener l’énergie sous la tutelle de Bercy plutôt que sous celle du ministère de l’écologie. Peut-on décemment dire que ce changement de politique induit par la composition de la nouvelle équipe gouvernementale est majeur ?

Fabien Bouglé : C’est effectivement un bouleversement politique très important. Depuis 2007, et la décision du président de la République d’alors, le ministère de l’énergie est passé sous la coupelle du ministère de l’environnement puis de la transition écologique alors qu’il était jusqu’à présent placé sous celle du ministère de l’Economie et de la Finance. Se faisant, la politique énergétique a été placée sous la responsabilité des écologistes, souvent idéologues.
Cette décision s’inscrit donc en rupture avec ce premier changement et vient détruire une
mainmise vieille de plus de quinze ans, construite par les idéologues écologistes avec la
complicité des lobbys des énergies intermittentes (la plupart étant contrôlés par des lobbys
allemands). La présence de l’OFATE (Office Franco-Allemand de la Transition Énergétique), un lobby éolien allemand comprenant notamment Greenpeace ainsi que WWF parmi ses
membres, dans les locaux du ministère de l’énergie devrait nous interroger.
Espérons que cette modification d’autorité permettra un recul de ces influences, qui sont
objectivement néfastes pour la souveraineté énergétique de la France. La volonté affichée par
le gouvernement, à cet égard, est tout à fait salutaire. Cette mise en tutelle sous le ministère de l’Economie est de meilleure augure pour la bonne conduite des travaux sur la souveraineté
énergétique dans le cadre de la prochaine loi prévue précisément à cet effet. D’autre part, elle
pourrait aussi s’avérer plus que positive eu égard à la loi de fusion de l’Autorité de Sûreté
Nucléaire et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Plusieurs grands chantiers
s’annoncent et, pour les mener à bien, nous n’aurions pas pu laisser aux écologistes leur
mainmise politique. On peut parler, dans le cas présent, d’une libération politique du
ministère.
Faut-il se réjouir d’une telle évolution ? Quels étaient les problèmes induits par une mise en tutelle de l’énergie sous la responsabilité de l’écologie ?
On ne peut que se réjouir de cette évolution. Cela fait des années que je plaide pour un retour
au mix énergétique, qui a largement fait ses preuves depuis le plan Messmer de 1974. Ce mix
était basé sur deux importantes sources d’économies : les barrages électriques et le nucléaire.
Cette politique a permis l’établissement, 30 années durant, d’une période de baisse des
factures électriques des entreprises et des ménages français et une diminution de notre
dépendance aux énergies fossiles. Ce n’est qu’en 2001 que le prix de l’électricité est remonté,
du fait du subventionnement des éoliennes.
Cette politique d’énergie intermittente, que d’aucuns ont voulu imposer en raison d’une
idéologie écologiste parfois outrancière, s’est avérée néfaste pour le pouvoir d’achat des
Français. Le fait de replacer la gestion de l’énergie dans le portefeuille du ministère de
l’Economie pourrait permettre d’en revenir à un peu plus de raison. Bruno Le Maire, on le sait,
est un fervent partisan du nucléaire. Gageons donc que le “en même temps énergétique”
prend désormais fin. C’est de toute façon une folie que de continuer à alimenter les réseaux à
la fois par des énergies intermittentes et nucléaires.
Il y a d’abord un problème technique : l’incompatibilité matérielle entre l’électricité d’origine
nucléaire et celle des énergies intermittentes qui oblige une adaptation très coûteuse des
réseaux. Ensuite il ne faut pas perdre de vue que continuer cette politique fait perdre de
l’argent aux Français. Elle est responsable de l’augmentation des factures énergétiques que
paient nos contribuables, puisque celle-ci émane du TURPE, la taxe de raccordement des
réseaux acheminant l’énergie intermittente au réseau global.
Je ne doute pas, à cet égard, que la culture du chiffre à Bercy poussent les équipes du
ministère à revenir à des éléments rationnels, sourcés, documentés. C’est un progrès.

Dans quelle mesure cette évolution pourrait-elle s’avérer salutaire pour la souveraineté nationale ?
Deux projets de loi sont actuellement en cours d’élaboration à ce sujet. Nous les avons déjà
évoqués et j’ai également eu l’occasion d’en parler dans mon livre Eoliennes : la face noire de la transition écologique . Il faut aussi évoquer l’ouverture de la commission d’enquête
parlementaire sur l’avenir de notre mix énergétique. Force est de constater que les choses
reprennent doucement forme. Revenir à une forme de raison énergétique a quelque chose
d’extrêmement enthousiasmant.
A cet égard, le changement que nous évoquons apparaît proprement essentiel. Si on raisonne
en termes géopolitique, force est de constater que les armes employées par Vladimir Poutine
sont le gaz – à travers Gazprom – et l’atome avec Rosatom. Les Etats-Unis ont procédé peu ou prou de la même manière : ils ont développé énormément le secteur du gaz liquéfié (au point de vouloir doubler leur capacité de liquéfaction du gaz de schiste) et développent également leur industrie nucléaire. Ces deux nations peuvent aujourd’hui se vanter d’une indépendance énergétique totale. Ils ne dépendent d’aucune importation pour assurer leur bon
fonctionnement énergétique.
Ce n’est pas le cas de l’Europe, qui affiche une nécessité d’importation énergétique à 55%.
Nous nous situons donc mécaniquement en situation de faiblesse. C’est pour cela que la
France doit réarmer son principal outil en la matière : EDF. Le gouvernement doit faire preuve
de puissance, puisque c’est lui qui pilote l’entreprise publique, pour permettre la recréation
d’un bras armé énergétique. La souveraineté énergétique européenne pourrait constituer un
projet mené par la France, qui dépend moins que ses voisins (40% contre parfois jusqu’à 70%) des importations étrangères pour assurer son bon fonctionnement. Il faut passer de la notion de transition énergétique, telle que voulue par les Allemands, à une souveraineté
énergétique… ce qui signale mécaniquement une disruption de notre politique en la matière.
Actuellement, les signaux nous sont très favorables.

Faut-il aller plus loin, selon vous ? Comment ?
De fait, il faut aller plus loin. Dans ce contexte de guerre mondiale de l’énergie, dont nous
avons eu l’occasion de parler jusqu’à présent, il faut aussi identifier une guerre intra-
européenne que se mènent deux modèles. Il y a d’un côté le modèle Français, qui regroupe
l’alliance du nucléaire et s’oppose à l’alliance des énergies intermittentes dont le modèle
Allemand s’impose en leader. L’Allemagne, ne l’oublions pas, mène un lobbying lourd pour
torpiller l’Hexagone à ce sujet.
Nous nous devons donc d’être extrêmement armés pour faire face à cette compétition
économique. Dans ce conflit énérgétique mondial, nous n’avons pas d’amis, n’avons que des
partenaires. Nous sommes seuls, mais nous avons eu la chance d’avoir eu des dirigeants qui,
en 1974, ont eu la prescience de ne pas se reposer sur les énergies fossiles et ont posé les
premiers jalons d’une politique énergétique différente dont nous bénéficions encore
aujourd’hui. Dorénavant, me semble-t-il, il faut mettre en place un plan nucléaire européen
(PNE), une sorte de plan Messmer à la taille du continent. Celui-ci pourrait être piloté par la
France, mais cela impliquerait alors d’aller plus loin en organisant un ministère régalien de
l’énergie. Aussi, après cette première étape, je milite pour la création à l’avenir d’un grand
Ministère de la Souveraineté énergétique et industrielle qui viendrait centraliser l’ensemble de
nos institutions et entreprises énergétiques et piloter la politique nucléaire européenne.

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