Lettre FED à Messieurs les Ministres de l’Energie et des Finances, des Armées et de l’Ecologie



Paris, le 3 février 2024

 Objet : Demande d’un moratoire des projets de production d’énergies renouvelables intermittentes (ENRi).  


Bonjour Monsieur le Ministre,

La Fédération Environnement Durable – FED – a pour objet la préservation de l’environnement, en particulier aujourd’hui face au déploiement des énergies renouvelables. Elle regroupe sur tout le territoire 1600 associations ou fédérations locales. La FED est une association d’intérêt public agréée au niveau national pour la « défense de l’environnement ».

En cette période de nouvelle organisation gouvernementale, permettez-nous de vous adresser ci-joint notre évaluation globale de la politique énergétique suivie jusqu’à ce jour.  Cet état des lieux tel que perçu par notre association interpelle tant le devenir énergétique du pays que sa souveraineté, la bonne utilisation des fonds publics et la préservation de l’environnement.

Nous tenons au préalable à préciser que la FED ne s’oppose en tant que telle à aucune forme de production d’énergie. Nous reconnaissons volontiers que les énergies renouvelables intermittentes ont toute leur place pour se substituer, en tant que de besoin et quand il y a du vent ou du soleil, aux énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre (GES), cela essentiellement dans les pays où la production de base pilotable repose sur des énergies fossiles.

Nous considérons surtout que, en France, le parc nucléaire, associé au grand hydraulique, est notre principal atout ; il a donné au pays une immense avance industrielle, anticipant même dès les années 80 les préoccupations de décarbonation du mix national, ce qu’on a nommé tardivement « transition énergétique ».

Nous regrettons donc que par contournements successifs des traités fondateurs de l’UE, sous la pression d’une coalition d’Etats membres conduite par l’Allemagne, avec le soutien de l’Agence Internationale de l’Energie, les instances de l’UE entendent imposer, au cas spécifique de la France, un schéma concurrent de transition énergétique, basé sur des moyens de production d’électricité intermittente (ENRi).

Nous souhaitons souligner certains des aspects nocifs qu’induit le gigantisme déraisonnable de ce schéma : transfert de valeur vers l’étranger, utilisation massive de l’argent public pour subventionner les projets privés, menaces pour la souveraineté et fragilisation de la défense du territoire.

En ce qui concerne l’environnement, le code français de l’environnement L. 122-4 et le droit européen (directive 2001/42/CE), stipulent que les projets et programmes d’ENRi doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale préalable. Or cela n’est jamais le cas, qu’il s’agisse de projets individuels ou de programmes. De même pour les impacts socio-économiques.

Nous vous adressons cet appel, dans l’espoir que vous reconnaitrez qu’un moratoire des projets de production d’énergies renouvelables intermittentes (ENRi) est nécessaire pour donner le temps à une sérieuse phase d’études préalables, transparentes et publiques, sur les thèmes que nous soulevons ici.

Nous vous prions d’agréer Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.

Nathalie Beauzemont
Administratrice
Fédération Environnement Durable

Jean-Loui Butré
Président
Fédération Environnement Durable

Annexe

PJ :
Evaluation globale de la politique énergétique suivie jusqu’à ce jour – FED – Janvier 2024

Fevrier 2024

 A l’attention de MM les Ministres de l’Energie et Finances, des Armées et de l’Ecologie

 Evaluation globale de la politique énergétique suivie jusqu’à ce jour

FED – Janvier 2024

Quasi-doublement des investissements de capacité, sans augmentation notable de puissance garantie            
               
Le ralliement de trop nombreux décideurs et de leur administration à la vision de l’Energiewende plaquée en France, en dépit des spécificités de son mix énergétique, est en train de prendre une dimension vertigineuse : le projet de Stratégie française pour l’Energie et le Climat (SFEC 2023, page 19) propose, d’ici à 2035, d’investir en capacité électrique intermittente le double de celle du parc pilotable installé,  soit environ 150 GW d’ENRi (éolien terrestre / marin + photovoltaïque) pour environ 90 GW (nucléaire + hydraulique).

 Transfert de valeur vers l’étranger

Cette fuite en avant (triplement du parc installé en une dizaine d’années) ne se justifie pas : le petit parc thermique fossile subsistant en France étant déjà décarboné par les premières vagues d’ENRi, il n’y a pas d’avantage pour le climat à en ajouter de nouvelles. Le résultat, démontré par le RTE, est qu’aujourd’hui les flux d’électricité éolienne française sont majoritairement appelés à l’exportation pour se substituer aux centrales fossiles des pays voisins, cela en général à vil prix, les nuisances restant en France ; ces flux non maîtrisés viennent aussi perturber le fonctionnement du parc nucléaire français (vieillissement accéléré, surcoûts, sûreté). Dans les deux cas, ceci constitue un transfert de valeur (énergétique et économique) de la France vers l’étranger aux dépens des Français.

Ajoutons qu’en période ventée, comme le démontre une étude de référence du AEN / OCDE, cet excédent de sources intermittentes (ENRi) au sein du mix mettra en danger la stabilité du réseau, pouvant conduire à des délestages ou à des black-out.

Les besoins liés aux transferts d’usages vers l’électricité 

L’argument mis en avant pour imposer aux Français cette croissance les ENRi est celui de la décarbonation de nouveaux usages par transfert vers l’électricité. La FED partage cette volonté de décarboner également cette large part de la production énergétique hors électricité ; seulement nous pensons que le RTE, acteur majeur du système électrique, n’est pas le mieux placé pour définir la part qui doit se faire par une conversion à l’électricité.   

Plutôt que de prendre comme paramètres d’entrée des hypothèses peu raisonnables et non démontrables de croissance de la demande, un chemin de sagesse devrait être de chiffrer le coût des différentes options, d’adapter le rythme de l’électrification des usages à la croissance envisageable de la production électrique pilotable, la plus économique et la moins subventionnée possible, et non l’inverse.

Parallèlement, pour explorer les alternatives à l’électrification, le RTE, opérateur du système électrique, a été chargé de l’élaboration des « futurs énergétiques 2050 » ; à cet égard, on s’étonne que les scenarios de décarbonation hors électricité ne s’appuient pas davantage sur les professions de la chaleur, les industries ou les collectivités concernées. Notons que certaines solutions électriques doivent d’ailleurs être considérées avec prudence ; la production de chaleur et d’hydrogène par l’électricité présente les plus mauvais rendements, les hypothèses volontaristes de Véhicules Electriques sont sans doute précipitées et peu réalistes ; à l’opposé, le chauffage électrique, tant développé il y a des décennies pour soutenir le nucléaire, peut aussi se révéler aujourd’hui déplacé face à d’autres sources (réseaux de chaleur décarbonée collective, géothermie, pompe à chaleur)…

En outre accroître ainsi la demande impose d’assurer à la nouvelle clientèle des conditions de fourniture conformes à notre qualité de confort. Le défi du caractère aléatoire et intermittent des ENRi doit être levé. La nécessité de sources de back-up (généralement au gaz, notamment en GNL, qui présente une bien mauvaise empreinte carbone) doit être intégrée dans les scénarios, ce qui n’est pas le cas.  L’espoir mis dans des stockages massifs d’électricité comme la foi futuriste dans un pilotage de la demande et autres outils de flexibilité doivent être revus pragmatiquement. La levée de boucliers contre l’idée d’une utilisation des compteurs Linky pour une restriction autoritaire de la demande doit faire réfléchir.

Explosion des coûts

La théorie politique consistant à rechercher une diversification des sources équivaut à multiplier les coûts d’investissement du parc de production électrique, sans puissance garantie supplémentaire, et donc à préparer une explosion du coût de l’électricité. En outre, la prise en compte des externalités dédiées est généralement oubliée, dont celles dites de « back-up » (portant pourtant sur plus de la moitié de la production) et de refonte totale du réseau électrique français (lignes et postes). Les tensions géopolitiques sur les supply chains internationales, dont dépendent fortement les matériaux de cette technologie, ne font qu’ajouter aux coûts et à la perte de souveraineté énergétique.

Derniers espaces libres sacrifiés – Sécurité alimentaire en question (Agriculture, Pêche)

« La transformation à engager dans les trois prochaines décennies est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle » aime à souligner l’ex-ministre Agnès Pannier-Runacher dans son projet de SFEC… Si les habitants des grandes villes sont épargnés, notre association est témoin de la colère et de l’épuisement dans les campagnes face à des nuisances toujours plus insupportables, à l’atteinte à la biodiversité, au permis de tuer les espèces protégées octroyée aux promoteurs. La réalité de ces nuisances commence aussi à apparaitre à une échelle démultipliée aux riverains et usagers des côtes françaises.

Point n’est besoin d’être grand savant pour comprendre que cette « révolution » va en effet accélérer l’industrialisation des campagnes, et provoquer massivement celle de l’espace maritime côtier jusque-là grandement protégé.

Aucune étude socio-économique préalable n’a été partagée correspondant aux enjeux de souveraineté alimentaire d’agriculture et de pêche.

Souveraineté, défense du territoire

La part importante des capacités de productions renouvelables, aléatoires et intermittentes, échappera au secteur public. Sans que cela soit souligné et alors qu’EDF vient de redevenir 100% public, du futur parc de production qui devrait ainsi être privatisé sans contrôle stratégique des acteurs.

La conséquence est particulière lourde pour l’éolien offshore, véritables plateformes industrielles implantées dans un environnement particulièrement hostile et complexe, berceau de la biodiversité.

Les 45 GW en 50 parcs éoliens qui devraient border tout le littoral français vers 2050 occuperaient la surface de plusieurs départements, concédés notamment à des sociétés étrangères. Il s’agira d’une une zone à risques pour la sécurité et la défense nationale…

Les problèmes classiques de collisions, de navigation à l’intérieur des parcs éoliens, de câbles à éviter, etc… constituent un premier niveau de préoccupations. Les perturbations des radars côtiers par les pales de ces éoliennes toujours plus élevées (300 mètres attendus) constituent un autre type de menace, d’autant que la multiplication des parcs va dresser le long du littoral de vraies forêts d’éoliennes ; or qui dit forêt dit possibilité de s’y cacher, donc menace potentielle de la part d’éléments hostiles. Ces champs éoliens, les câbles de liaison et les postes électriques en mer seront des équipements d’autant plus sensibles au sabotage qu’ils constitueront une part importante du mix électrique national. Ils offriront aussi des opportunités pour les narcotrafiquants, toujours intéressés à se mettre à l’abri des regards.

Outre qu’ils vont impliquer également un nouveau poste de lourdes dépenses, ces angles morts de l’éolien marin, que sont dans le présent contexte géopolitique, la sécurité et la sûreté nationale mériteraient d’être abordés en amont des décisions.

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